Tout ce qui freine le grand virage de la voiture électrique

Propos recueillis par Maxence GEVIN
Publié le 18 octobre 2022 à 13h54, mis à jour le 18 octobre 2022 à 14h06

Source : JT 20h Semaine

Emmanuel Macron a récemment annoncé un plan pour accélérer le déploiement de la voiture électrique en France.
Si ce type de véhicule possède des qualités qui ne sont plus à démontrer, il suscite aussi des problèmes, que ce soit sur le plan économique, environnemental ou sociétal.
C'est ce qu'explique François-Xavier Pietri, journaliste spécialisé en économie.

Accélérer pour tenir l'objectif européen du 100% électrique d'ici à 2035. Emmanuel Macron a récemment dévoilé une batterie de mesures qui visent à favoriser le développement, dans les prochaines années, du marché hexagonal de la voiture électrique. Réévaluation à la hausse du bonus écologique, extension du bouclier tarifaire aux bornes de rechargement, leasing plus accessible... de nombreux leviers sont actionnés par le président de la République. Interrogé par TF1Info, François-Xavier Pietri, journaliste spécialisé en économie et auteur de Voiture électrique : ils sont devenus fous, pointe, pourtant, les risques et interrogations que pose ce grand virage. 

Pourquoi tout miser sur la voiture électrique alors qu’on n’en produit pas ou peu ? 

Le tout électrique pour les voitures est le choix le plus facile pour tenter d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. L’avion et l’industrie étaient compliquées à transformer. L’agriculture, qui émet plus de CO2 que la voiture en France, est un secteur que l’on a du mal à toucher. Or, pour l'automobile, la conversion est relativement élémentaire : il suffit de remplacer un moteur thermique par un moteur électrique. C'est une technologie basique et on a des batteries à profusion. 

En outre, le lobby automobile a perdu une grande partie de sa puissance avec le "diesel gate" (révélation de l'utilisation, par Wolkswagen, de différentes techniques frauduleuses visant à réduire des émissions polluantes de certains de ses moteurs diesel et essence lors des essais d'homologation, ndlr). Il ne pèse donc plus autant qu'avant sur les décisions prises par les instances politiques.

Mais alors, s'agit-il vraiment d'une solution viable sur le plan écologique ? 

La voiture électrique est, de prime abord, vertueuse. Du moins dans son usage quotidien. Elle émet très peu de dioxyde de carbone (CO2) quand elle circule. Mais on oublie le déficit écologique qu’elle transporte, tout ce qui se passe en amont et en aval de cette utilisation. C’est assez spectaculaire. 

Pour fabriquer une batterie électrique, il faut l'équivalent de la consommation d’eau de 500 personnes pendant un an
François-Xavier Piétri

L'empreinte carbone de la construction des batteries est très lourde. Il faut extraire du cobalt et du lithium, les transporter. Le lithium est essentiellement produit par le Chili, l’Argentine et la Bolivie (60% dans le monde). C’est un désastre écologique : pour sortir une tonne de lithium, un million de litres d’eau sont nécessaires. Pour fabriquer une batterie électrique, il faut donc l'équivalent de la consommation d’eau de 500 personnes pendant un an. 

De son côté, le cobalt est fourni, à 80% dans le monde, par la République démocratique du Congo. Les grandes mines congolaises, souvent exploitées par des sociétés chinoises, posent d’immenses problèmes de pollution. Sans parler des conditions indignes dans lesquelles travaillent les ouvriers. L'Australie, second producteur mondial, arrive loin derrière, avec, là aussi, des complications (dans ce pays, le cobalt est retiré comme sous-produit de l’extraction du cuivre et du nickel. Cette méthode a un coût environnemental élevé, notamment du fait des émissions de gaz à effet de serre générées par les combustibles fossiles utilisés dans le processus, ndlr). 

On estime qu’en 2035 il y aura au moins 7 millions de batteries à recycler
François-Xavier Piétri

Il faut aussi parler du problème posé par le recyclage des batteries. On estime qu’en 2035 il y aura au moins 7 millions de batteries à recycler. Il s'agit d'une industrie à part entière, très complexe (démanteler les batteries, mettre à part les matériaux, gérer les déchets…) et qui émet une quantité importante de CO2. 

Ces mêmes batteries sont parfois rechargées avec une électricité issue de combustibles fossiles, comme le charbon allemand. De quoi remettre en question le côté vertueux de ce type de véhicules. 

Tout cela mis bout à bout, il faut en moyenne 70.000 kilomètres, c’est-à-dire 5 ans d’utilisation, pour que les bilans carbone d'une voiture électrique et d’une voiture thermique soient égaux. Selon une étude de l'Ademe, en dessous de ce seuil, elle a un moins bon bilan carbone. Ce n’est qu’au-delà de celui-ci que ce type de véhicules devient vertueux. 

Dispose-t-on de quantités suffisantes de cobalt ou le lithium ? 

On a aujourd’hui un déficit de cobalt et les études montrent que son utilisation va être multipliée par deux, par trois, par quatre, dans les années qui viennent. Or cette ressource n’est pas infinie et on n’en trouve pas tant que ça en dehors de la République démocratique du Congo. 

Une femme séparant le cobalt de la boue et de la roche aux abords d'une mine dans la région de Lubumbashi (République démocratique du Congo)
Une femme séparant le cobalt de la boue et de la roche aux abords d'une mine dans la région de Lubumbashi (République démocratique du Congo) - FEDERICO SCOPPA / AFP

Le lithium est plus facile à développer sur le papier : on l’extrait de la saumure. Les ressources sont beaucoup plus nombreuses mais le problème, c'est l’impact écologique. 

Sans oublier les terres rares, ces 17 matériaux qui sont, à 80% dans le monde, produits par la Chine. Pour un impact, là encore, très discutable sur le plan des droits humains et de l'écologie. 

Avec ce virage, on se livre pieds et poings liés à des pays qui dominent le marché des matières premières nécessaires. 

Comment la France, et à plus forte raison l'Europe, peut-elle trouver sa place sur un marché international où la Chine a déjà pris beaucoup d’avance ? 

Cela semble très difficile. On est en train d’offrir le marché européen de l’automobile aux Chinois, sans règles ni contraintes. C’était une des dernières grandes industries européennes. Très puissante, moderne, de pointe. Aujourd’hui, les Chinois produisent une voiture électrique sur deux dans le monde, 80% des terres rares, ont la main sur 80% de la production du cobalt. 

Ce qui est frappant, c’est que l’augmentation du bonus écologique, qui va passer de 6000 à 7000 euros, concerne les véhicules de moins de 47.000 euros. D’une certaine manière, il va financer les voitures chinoises, qui sont toutes à des prix inférieurs. La Chine va aborder le marché européen avec des véhicules 15 à 20% moins chers que ceux produits sur le vieux continent. Les aides gouvernementales vont donc paradoxalement contribuer au déficit de l’automobile européenne. On est en train de financer l’arrivée des constructeurs chinois sur notre marché. 

De nombreuses voitures chinoises, comme ce nouveau modèle de BYD, sont présentes au salon international de l'automobile.
De nombreuses voitures chinoises, comme ce nouveau modèle de BYD, sont présentes au salon international de l'automobile. - Eric PIERMONT / AFP

À tout cela s'ajoutent des problèmes sociaux...

On est en train de créer deux catégories de Français : ceux qui ont les moyens et peuvent se permettre d’avoir un "comportement vertueux" et ceux qui doivent continuer à rouler en diesel et en véhicules polluants. Cela pose un vrai problème. Il sera d’autant plus aigu avec la généralisation des ZFE (zones à faibles émissions). Cela va créer un véritable sujet social et sociétal. C’est un point qui, aujourd’hui, est complètement sous-estimé par la puissance publique. 

... et économiques

Sur le plan de l'emploi, les grands constructeurs devraient bien s’en sortir. Ils sont organisés. Pour cette industrie, le changement va être assez simple et se faire en douceur. En revanche, il va y avoir une casse sociale dans les PME, les sous-traitants qui fabriquent les bougies, les durites ou encore les culasses. Ils sont clairement menacés. 

Même chose pour tous les métiers qui gravitent autour de l’automobile. On pense notamment aux 100.000 garagistes français - une voiture électrique nécessitant beaucoup moins d'entretien qu'une voiture thermique - ou aux 11.000 stations-service de l'Hexagone - l'électrique étant beaucoup moins rentable que l’essence (avec un rapport de 1 à 15). 


Propos recueillis par Maxence GEVIN

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