[Cet article est extrait du hors-série n°94 de Courrier international « Le monde de demain », consacré aux grands basculements géopolitiques depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine.]

En recouvrant d’un vernis diplomatique les alliances forgées sur le terrain par les mercenaires de Wagner, les déplacements du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, à Bamako et Khartoum [les 7 et 9 février] ont fait monter les tensions d’un cran dans ce qui est désormais considéré comme le deuxième front de la guerre de la Russie avec l’Occident.

Wagner est en train de manger la carcasse de la Françafrique, l’empire néocolonial français en déclin, pour reprendre les mots du célèbre historien français Gérard Prunier. [Fin janvier], les troupes françaises ont reçu l’ordre de quitter un autre ancien bastion, le Burkina Faso.

La nervosité des États-Unis augmente face au risque de voir Wagner se transformer en une menace géopolitique, avec toute une bande de régimes militaires antioccidentaux coupant l’Afrique en deux, de l’océan Atlantique à la mer Rouge. Le 27 janvier, le département américain du Trésor a qualifié Wagner d’“organisation criminelle transnationale”, à la tête d’un “réseau procédant de manière systématique à des exécutions sommaires, des viols, des tortures, et à d’autres violences physiques” au Mali et en République centrafricaine (RCA).

Les États-Unis tentent de faire partir Wagner de Libye, où le groupe a combattu aux côtés du général rebelle Khalifa Haftar, ainsi que du Soudan, où il s’est allié au numéro deux de la junte, le général Mohamed Hamdan Dagalo, connu sous le nom d’“Hemetti”, pour des opérations d’exploitation minière et lors de guerres transfrontalières.

Les autorités de Washington prennent conscience que Wagner est plus qu’une bande de simples baroudeurs qui combattent les djihadistes et s’engagent dans l’exploitation de minerais. En réalité, c’est la Russie.

Fournisseur d’armes, d’hélicoptères et d’effectifs militaires

Le chef de Wagner, Evgueni Prigojine, est aujourd’hui un chef de guerre sur trois continents (si l’on ajoute la Syrie). Cet ancien petit malfrat a été propulsé vers les sommets du pouvoir et de la gloire, du fait de sa volonté brutale de combattre l’ennemi en faisant passer des dizaines de milliers de condamnés dans le hachoir à viande ukrainien. Certains pensent qu’il pourrait même devenir le grand patron du Kremlin, ou du moins le faiseur de roi si les choses devaient mal tourner pour Vladimir Poutine.

Wagner gagne du terrain, parce qu’il apporte des armes, des hélicoptères et des effectifs militaires dans des régions d’Afrique où l’on assiste à un effondrement de l’ordre public, et où les anciennes frontières coloniales, en disparaissant, ont laissé un vide comblé par les djihadistes et les bandits.

Les attaques de Wagner contre les Français en Afrique sont assor