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Dans les archives de Match - Quand Jeanne Calment confiait ses souvenirs à Paris Match

Clément Mathieu , Mis à jour le

Le record de longévité de Jeanne Calment a été confirmé, ce lundi 6 septembre 2019, une étude scientifique franco-suisse. La Française, née le 21 février 1875 à Arles et morte 122 ans, 5 mois et 14 jours plus tard dans la même ville, était bien la mamie du monde. À cette occasion, retour en 1988, année où elle était devenue la doyenne de l'Humanité : Jeanne Calment avait alors confié un siècle de souvenirs à notre magazine... Avec Rétro Match, suivez l’actualité à travers la légende de Paris Match.

En 1988, Jeanne Calment, alors âgée de 113 ans, pose à la façon de l'Arlésienne de Vincent Van Gogh, pour le photographe de Paris Match Manuel Litran. (À gauche, le tableau de 1890, exposé pour une vente aux enchères chez Christie's à Londres en 2006).
En 1988, Jeanne Calment, alors âgée de 113 ans, pose à la façon de l'Arlésienne de Vincent Van Gogh, pour le photographe de Paris Match Manuel Litran. (À gauche, le tableau de 1890, exposé pour une vente aux enchères chez Christie's à Londres en 2006). © Matt Dunham / AP / Sipa - Manuel Litran / Paris Match
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L'acte de naissance de Jeanne Calment
L'acte de naissance de Jeanne Calment © DR
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La carte d'identité de Jeanne Calment à 20 ans.
La carte d'identité de Jeanne Calment à 20 ans. © TSCHAEN / SIPA
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Jeanne Calment sur une photographie non datée, probablement Belle Époque
Jeanne Calment sur une photographie non datée, probablement Belle Époque © Getty Images
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Jeanne Calment devient la doyenne de l'Humanité en 1988.
Jeanne Calment devient la doyenne de l'Humanité en 1988. © SIPA
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Jeanne Calment à 121 ans.
Jeanne Calment à 121 ans. © Pascal Parrot / Sygma via Getty Images
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En 1988, Jeanne Calment, alors âgée de 113 ans, pose à la façon de l'Arlésienne de Vincent Van Gogh, pour le photographe de Paris Match Manuel Litran. (À gauche, le tableau de 1890, exposé pour une vente aux enchères chez Christie's à Londres en 2006).
En 1988, Jeanne Calment, alors âgée de 113 ans, pose à la façon de l'Arlésienne de Vincent Van Gogh, pour le photographe de Paris Match Manuel Litran. (À gauche, le tableau de 1890, exposé pour une vente aux enchères chez Christie's à Londres en 2006). © Matt Dunham / AP / Sipa - Manuel Litran / Paris Match
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L'acte de naissance de Jeanne Calment
L'acte de naissance de Jeanne Calment © DR
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La carte d'identité de Jeanne Calment à 20 ans.
La carte d'identité de Jeanne Calment à 20 ans. © TSCHAEN / SIPA
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Jeanne Calment sur une photographie non datée, probablement Belle Époque
Jeanne Calment sur une photographie non datée, probablement Belle Époque © Getty Images
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Jeanne Calment devient la doyenne de l'Humanité en 1988.
Jeanne Calment devient la doyenne de l'Humanité en 1988. © SIPA
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Jeanne Calment à 121 ans.
Jeanne Calment à 121 ans. © Pascal Parrot / Sygma via Getty Images
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Jeanne Calment était bien la mamie du monde. Le record de longévité de la Française a été confirmé par une étude scientifique franco-suisse, publiée ce lundi 16 septembre 2019. En décembre 2018, des chercheurs russes avaient affirmé en décembre 2018 que la vieille dame décédée en 1997 était en fait sa fille, Yvonne Calment. Ils ajoutaient qu'elle n'avait "que" 99 ans, et qu'elle aurait vécu pendant 63 ans sous la fausse identité de sa mère, afin d'éviter de payer des droits de succession. Une idée "sans fondement" selon les chercheurs suisses et français, qui se sont basés sur de nouveaux documents dont un article de la presse locale sur les obsèques d’Yvonne en 1934 ; et un acte notarié de 1926 montrant que Nicolas Calment, le père de Jeanne, avait légué tous ses biens à ses enfants avant son décès...

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Jeanne Calment est née le 21 février 1875 et morte 122 ans, 5 mois et 14 jours plus tard, dans sa belle ville d'Arles où elle a toujours vécu. Quand Match la rencontre en 1988, elle a 113 ans et vient de recevoir le diplôme du « Livre Guinness des records » qui la consacre « doyenne du monde ». Pour notre photographe Manuel Litran, elle avait retrouvé tout naturellement l'attitude de Madame Ginoux qui posait en 1888 pour Van Gogh. A cette époque, elle, Jeanne Calment, adolescente, regardait passer dans les rues d'Arles le peintre, vagabond hirsute qu'on appelait le « dingo » et qui faisait peur aux enfants. « Dire que ça vaut des millions aujourd'hui, regrettait-elle en souriant. On aurait pu lui acheter des tableaux si on avait su !» 

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Née dans un milieu privilégié - son père construisait des bateaux - elle a toujours eu l'esprit ouvert, à l'affût des nouveautés. Son mariage avec son cousin Fernand, de sept ans son aîné, lui a permis de mener une vie bourgeoise, mais résolument moderne : à 40 ans, elle avait même passé son baptême de l'air. Elle a vécu sous trois Républiques, elle avait 14 ans lorsque la tour Eiffel a été inaugurée, moins de 20 ans lorsqu'a éclaté l'affaire Dreyfus, 43 ans lorsque s'est achevée la Grande Guerre… Sa mémoire avait choisi de ne garder que les événements heureux. Et sa longévité ne l'étonnait même pas. Elle nous avait raconté son siècle dépassé.

Voici l'interview de Jeanne Calment, réalisée par Paris Match à l'été 1988...

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Paris Match n°2040, 1er juillet 1988

 

Le credo de Jeanne : "Je suis le chouchou du bon Dieu”

Par Colette Porlier - reportage Lucien Clergue, photo Manuel Litran 

Lorsqu'elle est née, le 21 février 1875, la IIIe République émergeait à peine et la tour Eiffel n'existait pas encore. II y a trois ans, Jeanne Calment a dû se résoudre à quitter sa maison qu'elle avait vendue quelque trente ans plus tôt en viager. Elle n'y voit plus très bien et c'est dans l'oreille qu'il faut lui parler, mais sa vivacité d'esprit est intacte. Lorsqu'on l'interroge sur son passé qui nous paraît si lointain, elle s'impatiente d'un « dites donc, 113 ans, ce n'est tout de même pas les calendes grecques ! » et lorsqu'on s'applique à articuler, de peur qu'elle ne saisisse pas, elle interrompt d'un « j'avais compris » ou d'un « ça, vous me l'avez déjà dit ». Elle trottine dans la maison de retraite de l'hôpital d'Arles, en dédaignant sa canne, mange d'un solide appétit, boit un verre de vin rouge à midi, un doigt de porto le soir, en fumant une cigarette. Elle ne prend pas de médicament, sinon un peu de potassium. Chaque matin, elle est la première debout et le soir, la dernière couchée. On l'entend alors à travers la porte faire sa prière : elle parle à Dieu, tout haut et fort parce qu'elle a besoin de s'entendre. Sacrée doyenne du monde par « Le livre des records », il faut la laisser égrener les morceaux de souvenirs de sa vie, à savourer tels quels. 

Souvenirs d'enfance. « Mon père était constructeur de navires. II commandait à une trentaine d'ouvriers sur son chantier. Arles était alors un port et les navires s'amarraient à quai. On circulait beaucoup sur le Rhône. Un vapeur faisait la liaison de Lyon à Saint-Louis. Nous l'avons pris quelquefois. Le quartier de la Roquette, où nous vivions, résonnait des jurons des hommes d'équipage. Aujourd'hui, seuls les noms des rues : rue des Matelots, rue des Mariniers, rue des Douaniers, témoignent encore de cette animation. J'ai huit ans, c'était, si vous comptez bien, en 1883. Mon père vient de terminer un superbe navire et il sait que ce sera le dernier. C'est le jour du lancement. Je suis sur le quai où tout est pavoisé et les barques des pêcheurs dédiées à saint Nicolas, avec une croix rouge à l'avant, font comme une haie d'honneur. Le curé et ses deux vicaires, et en tenue s'il vous plaît, bénissent la coque. On joue "La Marseillaise". Mon père ordonne la mise à l'eau... C'était vraiment "émotionnant". Je revois encore la coque glisser doucement, les voiles se gonfler sous le vent. Et maintenant, les murs du quai vide, s'effritent sous l'assaut des eaux violentes du Rhône. Ce bateau s'appelait "Jeanne", comme moi. Puis mon père n'a plus construit de navire. »

Les secrets de sa longévité. « C'est de l'atavisme, je crois. Maman est morte à 90 ans, Papa à 87 ans et mon frère à 98. J'ai failli avoir un autre centenaire avec lui ! Mais moi je n'ai pas de rides, même pas de pattes-d'oie quand je ris. Et ma poitrine, regardez mes seins, ils n'ont pas la forme d'une blague à tabac. Ils sont comme deux petites pommes. Mon poids a été le même durant toute ma vie. Quand j'étais jeune, j'étais tentée par la publicité des crèmes de beauté. Un jour, il y avait des recettes de star. L'une d'elles vantait l'huile d'olive. Je l'ai adoptée. Toute ma vie, j'ai soigné ma peau avec de l'huile d'olive, avec juste un petit nuage de poudre pour terminer. »

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Dites, on a osé me demander combien j'avais eu d'hommes !

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Son mari. « J'étais une petite fille très remuante, plutôt garçon manqué. J'avais un frère et lui, il était calme et raisonnable. Mon père disait : "La fille, c'est le garçon et le garçon, c'est la fille". J'étais toujours dans les arbres, dans les champs. Mon père répétait : "Jeanne, ce n'est pas convenable". Puis, plus tard, II refusait que je sorte : "Quand tu seras mariée, tu feras ce que ton mari voudras". J'avais un cousin, au quatrième degré. II s'appelait Fernand et avait sept ans de plus que moi. II ne me regardait pas : pour lui, j'étais la "petite". Un jour, il a ouvert les yeux et j'étais devenue une jeune fille, plutôt jolie. Brune avec des yeux verts. Les filles d'Arles sont belles par réputation. Elles ont de la grâce. Quand elles ont la taille fine et l'allure élancée, on dit qu'elles ont de la "tige". C'est ainsi que j'ai épousé Fernand, en 1895. J'avais 20 ans. J'étais habillée de satin blanc. Aujourd'hui, les filles se marient en couleur. C'est qu'elles ne sont plus vierges. Quelle époque, hein ! Les garçons se droguent et les filles prennent la pilule... Nous sommes partis en voyage de noces en Suisse, puis à Paris. Nous nous sommes installés au "Grand Hôtel" et mon mari a voulu tout visiter. Et nous sommes montés jusqu'en haut de la tour Eiffel. Dites, on a osé me demander combien j'avais eu d'hommes. Si c'était à refaire, je n'en aurais encore qu'un seul, le même. Aucun autre n'aurait pu supporter la comparaison. »

Arles. « Je suis née à domicile, au 53, rue de la Roquette. Je suis arlésienne pur sang. Ma grand-mère me racontait qu'à la naissance d'un enfant, on offrait quatre choses à la mère, quatre symboles : du sel, pour que l'enfant soit sage ; du pain, pour qu'il soit bon ; un oeuf, pour qu'il soit prospère et une allumette pour qu'il soit bien planté. Ces coutumes se sont perdues au fur et à mesure que j'ai grandi. C'est qu'on voulait faire moderne ! Je n'avais pas le droit de sortir. Certes non. II n'était pas question d'aller parader avec mes robes neuves, sur la promenade des Lices. Alors, on se fréquentait entre soi. Une fois chez l'un, une fois chez l'autre. Moi, j'avais un grand salon et on y dansait la polka et la mazurka. J'ai porté des robes à faux cul, vous savez. Je faisais copier mes vêtements dans les magazines de mode de Paris, et dès le début de mon mariage, nous avons eu une automobile. C'était une Peugeot, je crois. Alors que mon père avait encore un break avec un cheval. Avec mon mari, nous faisions beaucoup de sport. J'ai appris l'escrime, le ski. Nous faisions aussi de longues promenades à vélo et aussi du tennis. J'avais des mollets d'acier. Chaque été, nous partions en randonnée dans les Alpes. Mes amis me disaient : "Le sport ca abîme le teint." Ben, regardez-moi aujourd'hui. Mon mari m'avait même acheté un fusil pour que je le suive à la chasse. J'aime bien les bêtes mais pour ne pas rentrer bredouille et sauver la situation, j'ai bien tiré quelques lapins. Vous voyez, à ma façon, j'étais une femme moderne. J'ai même vu les débuts du cinéma, parce que nous ne voulions rien manquer. C'était à Lyon, chez les frères Lumière. Et, à 40 ans, j'ai passé mon baptême de l'air. Arles était un gros bourg mais on y riait autant qu'à Paris. »

Sa santé. « Je n'ai jamais été malade. Ça, c'est un don du ciel. Je suis en quelque sorte le chouchou du bon Dieu. Les médecins disent que j'ai un organisme muet. Ça veut dire que mes organes fonctionnent bien et doucement. II m'est arrivé de me casser des os, en tombant. Mais Je n'ai jamais une maladie, des migraines parfois... les migraines, c'est une maladie de luxe. »

Van Gogh. « Mon mari avait un magasin de tissu, à l'angle de la rue Gambetta et de la place Antonelle. Le nom de Calment brillait en lettres d'or et tenait lieu d'enseigne. On y vendait du drap. Les jeunes filles, à cette époque, cousaient leur trousseau. Je n'étais pas encore mariée quand Van Gogh vint au magasin acheter de la toile. II était très laid. Laid comme un pou, avec une casquette. Dans Arles, on l'appelait le "dingo" et il faisait peur aux enfants. C'est le docteur Rey qui l'a soigné à l'hôpital de la ville. Le docteur Rey était à peu près de la même génération que mon mari et Van Gogh a fait son portrait. C'était très ressemblant. Mais le peintre lui a fait de ces "arcanettes" (pommettes rouges). La bonne du docteur avait trouvé cette peinture si affreuse qu'elle l'avait utilisée pour masquer une fenêtre dans le grenier. Dire que ça vaut des millions. On aurait pu lui acheter des tableaux, si on avait su. »

Mistral. « Mistral était venu inaugurer le musée d'Arles. J'étais tout juste mariée. Ce fut une très belle fête que présidait le poète provençal. Chacun devait porter le costume artésien. J'avais choisi une robe rouge parce que j'étais brune et j'avais les cheveux relevés en chignon avec des petites mèches autour du visage pour ne pas faire trop sévère. Je portais autour du cou le collier en brillants de ma mère. Puis on a dansé aux "Folies arlésiennes". C'était une sorte de casino avec une galerie circulaire. On y a fait un parking aujourd'hui... »

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Je n'ai pas peur de mourir… je ne souffre de rien

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La politique. « De mon temps, c'était facile : il y avait les républicains et les royalistes. Le bonnet phrygien et la fleur de lys. Aujourd'hui, le drapeau tricolore est bizarre, avec beaucoup de petits partis. Tous des guignols. Le monde actuel est violent avec tous ces crimes, ces attentats. Je ne rate jamais les informations et j'écoute tous les débats. II n'y a qu'un homme que je regrette, c'est De Gaulle. »
"Je n'ai pas peur de mourir... Je ne souffre de rien"

La disparition des autres. « J'ai eu une fille qui s'appelait Yvonne. Mon seul enfant. Elle est morte à 36 ans. D'une pleurésie. C'est ça qui est terrible quand on vit longtemps : voir partir les autres. Elle avait un petit garçon. II avait sept ans à sa disparition et je l'ai élevé. C'était mon petit. II est devenu médecin oto-rhino et il s'est tué dans un accident d'auto. Mon mari, lui, est mort, on peut dire par gourmandise. C'était en 1942. Des clients nous avaient invités chez eux à la campagne. II y avait des cerises. Mon mari en a mangé beaucoup. Moi, une ou deux. Mais elles avaient été sulfatées. Le soir même, mon mari était malade. Je lui ai dit : "Fernand, tu es jaune". Le médecin est venu, puis un spécialiste. Ils m'ont appelée à l'écart "C'est très grave". En fait, il est mort quatre mois plus tard d'un cancer galopant du foie. La médecine aujourd'hui a fait des progrès. Pensez donc, on aurait pu soigner ma fille, tout comme mon beau-père qui est mort d'une typhoïde. On ne meurt plus aujourd'hui de ces choses-là. »

La mort. « Non, je n'ai pas peur de mourir. J'ai eu une belle part de vie. Je partirai volontiers retrouver les miens. (Elle montre deux photos, celle de sa fille et celle de son petit-fils.) Je veux les emporter avec moi. Ce sont les seules choses qui me restent. J'enterrerai ces deux êtres chers avec moi une deuxième fois. »

Dieu. « Jusqu'ici j'ai été très croyante. Maintenant, je flotte, je suis indécise. Y a-t-il vraiment un Dieu pour laisser faire toutes ces guerres. Remarquez, je fais quand même ma prière et je le remercie tous les soirs parce que je ne souffre de rien. »

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