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Décryptage

Aux Etats-Unis, le pétrole de schiste à l'heure des doutes

ANALYSE - La révolution de la fracturation hydraulique, qui a fait des Etats-Unis une superpuissance pétrolière en quelques années, nécessite des investissements gigantesques pour une rentabilité encore incertaine. Sous perfusion de Wall Street, le secteur reste très fragile.

Principal problème pour le secteur : les puits forés par fracturation hydraulique s'épuisent vite. La production des puits dans le bassin du Bakken, dans le Dakota (photo) diminue de plus de 85 % dans les trois ans, contre un recul de 10 % par an pour un puits conventionnel.
Principal problème pour le secteur : les puits forés par fracturation hydraulique s'épuisent vite. La production des puits dans le bassin du Bakken, dans le Dakota (photo) diminue de plus de 85 % dans les trois ans, contre un recul de 10 % par an pour un puits conventionnel. (Robyn BECK / AFP)

Par Elsa Conesa, Elsa Conesa

Publié le 18 déc. 2018 à 15:55Mis à jour le 18 déc. 2018 à 16:22

La police a conclu à un accident, mais beaucoup continuent à croire au suicide. L'homme venait tout juste d'être inculpé par la justice américaine pour avoir tenté de manipuler le prix du gaz et du pétrole. Il est monté dans sa Chevrolet Tahoe et a appuyé sur l'accélérateur. « On dirait qu'il s'est jeté directement contre le mur », a lâché le capitaine de la police d'Oklahoma. Légende de l'industrie des gaz de schiste aux Etats-Unis, Aubrey McClendon était le premier à avoir cru à la fracturation hydraulique , le fondateur de Chesapeake, l'un des plus gros producteurs du pays.

C'était aussi un génie des montages financiers hasardeux permettant de lever de l'argent sans jamais en gagner. Si bien que deux ans après l'accident, les avocats et créanciers qui s'échinent à démêler ses affaires, continuent de s'interroger : est-il mort richissime ou bien ruiné ?

Difficile de ne pas voir dans ce destin flamboyant l'allégorie d'un secteur où l'argent coule néanmoins à flots depuis des années sans qu'il ait jamais prouvé sa rentabilité. Dix ans après la révolution du schiste américain, analystes et experts demeurent bien en peine d'affirmer si extraire le pétrole et le gaz par fracturation hydraulique rapporte de l'argent. Dans son dernier livre, « Saudi America » , la journaliste la plus redoutée de Wall Street, Bethany McLean, qui fut la première à dénoncer les malversations d'Enron quand tout le monde criait au génie, dresse un diagnostic cruel. Sous perfusion continue de Wall Street, le secteur est, selon elle, incapable de tenir sur ses jambes. Et c'est sous nos pieds que la prochaine crise couve.

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Accueilli comme un sauveur

Lorsqu'il a fait son apparition à la fin des années 2000, le gaz de schiste a pourtant été accueilli comme un sauveur outre-Atlantique : investisseurs et politiques étaient alors convaincus que les réserves de pétrole et de gaz allaient rapidement s'épuiser. Jusqu'à ce qu'un inconnu nommé George Mitchell prouve qu'il était possible d'en extraire de grandes quantités d'un sol que l'on pensait stérile, en y injectant horizontalement du liquide à haute pression. Un bouleversement qui a transformé en quelques années le pays en une superpuissance pétrolière et bousculé les équilibres géopolitiques mondiaux.

Les Etats-Unis sont désormais les plus gros producteurs de gaz et de pétrole au monde et sont même brièvement devenus exportateurs nets de pétrole il y a quelques jours. Au point que Donald Trump se plaît à rêver d 'indépendance énergétique . « Tout ce qui n'est pas pérenne économiquement, qu'il s'agisse des dotcom qui perdent de l'argent ou des crédits immobiliers subprime, finit par connaître une fin malheureuse », prévient toutefois Bethany McLean.

Car la fragilité du schiste tient précisément à son mode d'extraction. Les puits forés par fracturation hydraulique s'épuisent vite : selon la Fed régionale de Kansas City, la production des puits dans le bassin du Bakken (Dakota) diminue de près de 70 % la première année, et de plus de 85 % dans les trois ans, contre un recul de 10 % par an pour un puits conventionnel. « Pour maintenir une production d'un million de barils par jour, il faut jusqu'à 2.500 puits de schiste, écrit la journaliste. En Irak, moins d'une centaine suffit. » Les puits sont, certes, moins onéreux à construire qu'une plate-forme offshore, mais leur durée de vie est très courte. Pour continuer à croître, ou simplement maintenir la production à un niveau constant, les producteurs de schiste n'ont d'autre choix que de forer en permanence. Et pour forer, il faut du cash. L'accès au financement est donc crucial.

Des producteurs très endettés

Dans un environnement de taux nuls, cela n'a guère posé de problèmes depuis dix ans. Grâce à la politique ultra-accommodante de la Fed, le secteur s'est financé gratuitement sans jamais avoir besoin de gagner de l'argent, les remboursements d'intérêts progressant deux fois moins vite que les montants empruntés. Entre 2005 et 2015, la dette des producteurs nord-américains a donc triplé à 200 milliards de dollars. Il est probable que sans la crise de 2008 et la politique monétaire de Ben Bernanke, le schiste n'aurait jamais vu le jour.

Opérant sur des cycles très courts, le secteur est en outre démesurément sensible aux variations de prix. Lorsque le brut tombe à 30 dollars le baril comme ce fut le cas début 2016, les puits doivent fermer . Mi-2016, les producteurs américains et canadiens perdaient en moyenne 350 millions de dollars par jour, selon le cabinet AlixPartners. Et à la fin de l'année, le nombre de puits en exercice avait reculé de plus de 65 %. Ce qui n'a pas empêché l'industrie de lever plus de 110 milliards de dollars de capital et de dette cette année-là, selon Dealogic, soit davantage que l'année précédente. Non pas pour investir, mais pour refinancer la dette.

Symétriquement, la force des producteurs de schiste est de pouvoir rapidement s'adapter. Après l'effondrement du brut en 2016, l'industrie a réduit ses coûts, innové, développé de nouvelles technologies. « Le prix de revient a été considérablement abaissé », insiste Brian Youngberg, analyste chez Edward Jones. Plusieurs grands producteurs comme EOG ou Continental Resources ont même commencé à gagner de l'argent en 2018, portés par la hausse du brut, qui a gagné près de 25 % au cours des neuf premiers mois de l'année. De leur propre aveu, il est difficile de rester rentable quand le brut passe sous les 50 dollars le baril.

Alors que les prix ont recommencé à baisser et sont passés lundi sous les 50 dollars pour la première fois depuis plus d'un an, la pression sur les producteurs va s'accroître à Wall Street. Certains hedge funds, comme Greenlight ou Kynikos, sont convaincus depuis longtemps que le secteur n'est pas viable. Pour eux, il n'y a guère de doute : Aubrey McClendon est mort ruiné.

Elsa Conesa  (Bureau de New York)

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