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Tribune

L'anti-transition écologique belge

LE CERCLE - La Belgique a adopté une loi destinée à subventionner les centrales électrogènes à gaz pour sortir du nucléaire. Cette mesure devrait entraîner une hausse significative des émissions de gaz à effet de serre du pays, tout en compromettant sa sécurité d’approvisionnement énergétique, regrette l'ingénieur Maxence Cordiez.

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Par Maxence Cordiez (ingénieur, auteur du livre « Énergies » publié chez Tana Editions)

Publié le 11 avr. 2019 à 10:20Mis à jour le 11 avr. 2019 à 10:58

Le manifeste étudiant pour un réveil écologique a réuni plus de 30.000 signataires et les manifestations appelant à lutter contre le changement climatique se multiplient de par le monde. Quiconque s’intéresse un tant soit peu au sujet trouvera probablement cette démarche naturelle étant donné les enjeux vitaux que pose le dérèglement du climat dans les prochaines décennies...

La Belgique va à rebours de ce mouvement. Le 4 avril, la Chambre des représentants belge a adopté une loi destinée à subventionner les centrales électrogènes à gaz afin de sortir du nucléaire. Pourtant le nucléaire est l’une des sources d’énergie émettant le moins de gaz à effet de serre (quatre fois moins que le solaire, selon le cinquième rapport d'évaluation du GIEC ). Cette politique constitue une double faute : pour le climat et pour la sécurité énergétique de la Belgique.

Une faute pour le climat

En Belgique, sept réacteurs nucléaires assurent aujourd’hui la moitié de la production électrique. Le gouvernement souhaiterait les fermer d’ici 2025 pour les remplacer par une association de gaz, d’énergies renouvelables et d’importations d’électricité. Si la production d’électricité renouvelable est amenée à croître, elle restera bien inférieure à la production nucléaire actuelle. En outre, l’intermittence solaire et éolienne, liée à l’ensoleillement et à la force du vent, nécessitera un recours important à des sources d’énergie pilotables (centrales à gaz fossile) et des importations d’électricité.

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L’énergie nucléaire émet, sur son cycle de vie (approvisionnement en combustible, construction des centrales et exploitation), environ 12 grammes d'équivalent CO2 par kilowatt heure (gCO2éq/kWh) contre 490 gCO2éq/kWh pour une centrale à gaz moderne, toujours selon le GIEC. Si la totalité de la production nucléaire (40 térawatt-heure en 2017) était remplacée par du gaz, cela conduirait à une augmentation des émissions annuelles de gaz à effet de serre du secteur électrique belge de 19 millions de tonnes équivalent CO2.

En extrapolant l’augmentation de la production renouvelable d’après sa progression entre 2010 et 2017, en 2025 ce surplus d’émissions serait ramené à 15 millions de tonnes d'équivalent CO2 par an (MtCO2éq/an), soit 13 % des émissions domestiques belges actuelles… En pratique, du fait d’une hausse prévue de ses importations d’électricité, une partie des émissions sera délocalisée et comptée dans le bilan des pays voisins. Le contenu carbone de ces importations sera très différent selon leur provenance : faible depuis la France (où l’électricité est essentiellement nucléaire et hydraulique), élevé depuis l’Allemagne qui s’appuie encore massivement sur du charbon.

On notera au passage que Greenpeace Belgique a qualifié dans un communiqué de presse publié le 5 avril de «mal nécessaire» le mécanisme destiné à subventionner les centrales à gaz belges, démontrant ainsi que, pour l’ONG, la sortie du nucléaire est prioritaire sur la lutte contre le changement climatique…

Une faute pour l’avenir de la Belgique

Remplacer l’énergie nucléaire par du gaz fossile va dégrader le taux d’indépendance de la Belgique et sa sécurité énergétique. La production gazière européenne est passée par un maximum en 2003 et diminue depuis lors. La Norvège, dernier grand pays producteur du continent, est également sur le point de passer son pic d’extraction. C’est le deuxième fournisseur de gaz de l’Union européenne, assurant près du quart de son approvisionnement. Son pic de production passé, les volumes qu’elle exporte diminueront. Or, ce qui n’est plus extrait en Europe doit être remplacé par des importations, notamment depuis la Russie.

Enfin, le prix du gaz est en partie lié à celui du pétrole et une crise de l’offre pétrolière est attendue dans les toutes prochaines années. Si celle-ci devait entraîner une hausse du prix du baril, il faudrait s’attendre à ce que le cours du gaz réagisse de même.

Pour ces deux raisons, il semble peu probable que la Belgique puisse durablement importer des quantités croissantes de gaz, surtout à un prix aussi faible qu’aujourd’hui. En termes d’indépendance géopolitique et de coût de l’énergie, la Belgique se prépare un avenir difficile.

Ironie ou provocation ?

La transition du secteur électrique belge va conduire à une augmentation de la consommation d’énergie fossile, une hausse des émissions de gaz à effet de serre, donc aggraver le changement climatique, et une compromission de la sécurité énergétique du pays. On pourrait croire à une mauvaise blague si ce n’était pas si tragique. Alors que nous sommes en train de perdre le combat, vital, pour le climat, le problème n’est pas que nous allons trop lentement dans le bon sens, mais que certains gouvernements choisissent délibérément d’aggraver la situation, par idéologie et refus d’écouter les scientifiques (notamment ceux du GIEC).

Sur le réseau Linkedin, Marie-Christine Marghem, la ministre belge de l’Énergie, de l’Environnement et du Développement durable, concluait par ces mots : «La transition énergétique est en marche !». Triste ironie… ou provocation ? Les jeunes générations qui devront vivre avec les conséquences du changement climatique et un approvisionnement énergétique fragilisé jugeront.

Maxence Cordiez est ingénieur dans le secteur de l'énergie.

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