LETTRE DE MADRID
Qu’il soit « impossible » que la police surveille « chaque maison » est une évidence. Mais que cela implique que les Catalans dénoncent leurs voisins s’ils ne respectent pas l’interdiction des réunions sociales de plus de six personnes l’est bien moins. C’est pourtant ce qu’a demandé le ministre régional de l’intérieur de Catalogne, Miquel Samper, le 14 octobre, alors qu’il annonçait d’énièmes mesures de restrictions visant à limiter la propagation de l’épidémie de Covid-19. De quoi enflammer les réseaux sociaux en Espagne, où de nombreux internautes dénonçaient un « appel à la délation ».
Le sujet est sensible, d’autant que l’Espagne est depuis le 25 octobre en état d’urgence sanitaire. Déjà, durant la première vague, une sorte de « police des balcons » avait spontanément fonctionné dans les rues du royaume, des citoyens jetant des œufs ou des insultes à ceux qui sortaient pendant le confinement très strict imposé en mars et avril, sans savoir que, parfois, il s’agissait de médecins. Un homme qui se promenait avec son enfant autiste, à Madrid, en avait fait les frais : sifflements, reproches et insultes avaient bouleversé son fils, et avaient poussé le père de famille à dénoncer publiquement l’excès de zèle des justiciers improvisés.
« Nouvelle normalité »
La perspective d’être constamment surveillé par ses voisins, dénonciateurs anonymes potentiels de possibles entorses aux règles de la « nouvelle normalité » n’a donc pas été très bien accueillie. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne devienne pas une réalité.
L’Espagne est en effet plutôt à la pointe en matière de collaboration citoyenne avec la police. Une application, AlertCops, a même été créée par le ministère de l’intérieur en 2014 pour mettre en relation directe tous les citoyens avec les forces de l’ordre, police ou garde civile. Chacun peut ainsi devenir un indic.
L’application gratuite fonctionne de manière très simple mais implique de lui donner accès à de nombreuses données. Nom, prénom, numéro de carte d’identité et adresse doivent être indiqués pour dissuader les plaisantins qui voudraient jouer des tours à la police. Et l’accès à la géolocalisation est automatique lorsque AlertCops fonctionne.
Et pour cause : son principe est d’envoyer une alerte en deux ou trois clics au commissariat le plus proche, lorsque l’on est victime ou témoin d’un des faits ou délits proposés dans le menu : vol, agression, agression sexuelle, violence machiste, délits de haine (racisme, antisémitisme, homophobie…), radicalisation, disparition, harcèlement scolaire, vandalisme ou, le dernier en date depuis septembre, occupation illégale de logement. A chaque fois, l’application demande à l’utilisateur s’il est victime ou témoin et lui propose de joindre une vidéo ou une photo à l’alerte. La communication se fait ensuite par téléphone ou par messagerie instantanée.
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