C'est une belle leçon de morale que viennent d'administrer les chercheurs du CNRS et du CERN, l'organisation européenne pour la recherche nucléaire, qui est aussi le plus grand laboratoire de physique du monde. Après avoir découvert, dans le cadre d'une expérience baptisée "Opera", que des particules pouvaient voyager plus vite que la lumière, l'équipe de physiciens a passé six mois à tenter de trouver une faille à cette découverte. L'enjeu est de taille : si les résultats de ces travaux sont confirmés, ils mettront à bas la théorie classique de la relativité restreinte d'Albert Einstein, loi centrale de la physique depuis 1905.
Confrontés à des résultats qui bousculent la confortable routine des certitudes, les physiciens associés à cette expérience auraient pu garder leurs travaux pour eux. Ils ont choisi la démarche inverse. Vendredi 23 septembre, ils ont publié les résultats de leurs recherches, exposant de la manière la plus ouverte les détails de leur expérience et ses données brutes.
Amenés à mettre en doute la validité d'un principe cardinal de la physique, ils offrent ainsi à la communauté scientifique tous les moyens de mettre à son tour en doute, méthodiquement, le fruit de leurs travaux. Ils s'exposent, volontairement, à la critique de leurs pairs. Au cours de ce processus, qui pourra être orageux, les arguments des uns et des autres seront entendus ; de nouvelles expériences seront sans doute menées ou imaginées, pour trancher la question. Peu à peu se dégagera un consensus, et la science en sortira plus forte, ouvrant ou non la voie à de nouvelles théories capables de mieux décrire les lois de la nature. Les "neutrinos supraluminiques" - nom de ces particules fondamentales furtives - du laboratoire souterrain de Gran Sasso, en Italie, où ont eu lieu les mesures de la vitesse de leur propagation, seront peut-être à l'origine d'une nouvelle aventure pour la science. Dans l'immédiat, ils sont surtout le symbole de la soif de savoir des communautés scientifiques, et de leur volonté de se libérer des convenances sociales, idéologiques ou économiques. Du scepticisme comme antidote à l'arrogance.
Scandales sanitaires, expertises défaillantes, corruption et conflits d'intérêts ont, depuis plusieurs années, terni l'image des scientifiques auprès du grand public. Ce qui se produit actuellement dans la communauté des physiciens est, au contraire, une remarquable manifestation de l'intégrité de la démarche scientifique.
Cette démarche a parfois été détournée par les conflits d'intérêts. Elle a pu être instrumentalisée pour créer délibérément le doute, à des fins industrielles ou commerciales - sur la nocivité du tabac, de l'amiante, du Mediator, ou sur la réalité du changement climatique. Les faits eux-mêmes finissent le plus souvent par s'imposer. Il ne reste rien, aujourd'hui, de la fusion froide ou de la mémoire de l'eau. En ces temps de double crise mondiale, économique et écologique, on ne peut que souhaiter aux économistes de s'inspirer, de l'extraordinaire liberté d'esprit des physiciens.
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