L'Aquila : les scientifiques manipulés par le pouvoir politique

La profession du monde entier défend ses confrères condamnés pour ne pas avoir prédit le tremblement de terre survenu en Italie en 2009.

De notre correspondant à Rome,

Le 6 avril 2009, un séisme ravageait la ville de L'Aquila, faisant plus de 300 morts et des dizaines de milliers de sans-abri.
Le 6 avril 2009, un séisme ravageait la ville de L'Aquila, faisant plus de 300 morts et des dizaines de milliers de sans-abri. © AFP

Temps de lecture : 3 min

La communauté scientifique internationale se mobilise pour défendre les sept experts italiens condamnés à 6 ans de prison ferme pour avoir sous-estimé le risque d'un tremblement de terre dans la région des Abruzzes. "Il y avait une légère augmentation de la probabilité d'un tremblement de terre grave. Mais si on m'avait interrogé, j'aurais dit qu'on ne pouvait pas prévoir un big one", a affirmé Tom Jordan, directeur du Southern California Earthquake Center.

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Toujours aux États-Unis, le porte-parole de Union of Concern Scientist a déclaré : "Imaginez qu'un État condamne un météorologue parce qu'il n'a pas prévu l'exacte route d'une tornade, un épidémiologiste parce qu'il n'a pas mis en garde contre tous les effets d'un virus ou un biologiste parce qu'il n'a pas averti des risques d'attaque d'un ours. Les scientifiques doivent pouvoir évaluer les risques selon leurs connaissances sans risquer de finir en prison. Il est paradoxal qu'un tel procès à la science ait été fait dans le pays de Galilée."

Du Japon, le pays qui a la plus grande expérience en matière de tremblements de terre, Shinichi Sakai, professeur au Earthquake Research Institute, confirme les propos de Jordan : "Moi aussi, si on m'avait interrogé, j'aurais affirmé qu'il était impossible de prévoir un fort séisme." Et le géophysicien britannique Bill McGuire de redouter que dorénavant les scientifiques penseront à deux fois avant d'émettre des prévisions. Une prédiction qui est déjà d'actualité dans la péninsule. Le président de la commission "grands risques", Luciano Maiani, a démissionné, car il considère qu'il n'est plus assez serein pour assurer ses fonctions. "Si les scientifiques se taisent, seuls les charlatans auront droit au chapitre", a-t-il ajouté.

"Opération destinée à faire taire les imbéciles"

Reste que quelque chose n'a pas fonctionné à L'Aquila. Membre de la commission "grands risques", Enzo Boschi ne comprend toujours pas pourquoi il a été condamné : "J'ai simplement dit qu'on ne pouvait pas prévoir un séisme de grande magnitude, mais également pas l'exclure. Les scientifiques doivent se limiter à fournir des informations les plus objectives possible. La communication sur les risques, elle, revient au pouvoir politique."

Un pouvoir politique qui a manipulé les sages de la commission. En ce mois d'avril 2009, la terre tremble plusieurs dizaines de fois par jour à L'Aquila. La population est exaspérée et des milliers d'habitants commencent à quitter la région, menaçant l'économie des Abruzzes. S'appuyant sur une théorie non reconnue, le physicien Giampaolo Giuliani a annoncé l'imminence d'un fort séisme, accroissant d'autant la peur des habitants.

L'activité sismique dans les Abruzzes est devenue un problème d'ordre public. C'est dans ce climat que la Protection civile, un organisme strictement lié au gouvernement dans la péninsule, convoque la commission "grands risques". La veille de cette réunion, dans une conversation téléphonique versée aux actes du procès, le chef de la Protection civile, Guido Bertolaso, explique à l'assesseur régional Daniela Stati : "J'ai convoqué les scientifiques à L'Aquila. Ils diront que la situation est normale. C'est une opération médiatique destinée à faire taire les imbéciles et à rassurer la population. Il faut dire qu'il n'y aura jamais de forte secousse."

L'opinion des scientifiques, "nous ne pouvons pas prévoir l'imprévisible", est donc devenue : "Il n'y aura jamais de forte secousse." Lors du procès, l'accusation a démontré que, sur les 309 victimes du tremblement de terre du 6 avril 2009, 27 avaient décidé de rester dans leur habitation parce qu'elles avaient été rassurées par les propos des autorités.

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Commentaires (7)

  • FARANDOLE

    Ils ne sont pas condamnés pour un manque d'expertise.

  • Jako

    Comme à la Société Générale, ces sont les "lampistes" qui trinquent ! La météorologie n'est pas une science exacte ! Par contre, nos gouvernants, qui disaient que le nuage de tchernobyl s'était arrêté à nos frontières, n'ont pas été inquiétés.

  • pygargue

    Les scientifiques tentent de se rapprocher au plus près du moment fatidique, en sismologie et vulcanologie, ils ne prétendent pas connaitre le l'année, le mois, le jour, l'heure, la seconde de l'évènement surveillé. Une marge de 10 ans, 100 ans, 1000 ans ou plus est totalement acceptée. Le temps géologique n'est pas le même que le temps humain, la terre prend son temps, elle l'a toujours pris. Seuls quelques signes peuvent nous décider à évacuer une zone en danger, mais ces signes ne constituent pas la preuve de l'arrivée de cet évènement. Qui a prévu le tremblement de terre de sumatra sous marin qui a conduit au désatre humain en 2004, qui a prévu le séisme de magnitude 9 de 2011 dans la fosse du japon, (un tel séisme aurait pu provoquer le réveil du Fuji Yama, volcan situé sur une autre faille... ) On sait que le Vésuve est près du réveil qui peut prendre 1, 10, 100 ans, on n'en sait rien, les plans d'évacuation de Naples ne sont pas bien élaborés, qui rendra t-on coupable de ce nouveau désastre, des scientifiques ou ceux qui ne les ont pas écouté pour préparer la population à des plans d'évacuation bien définis, ou encore ceux qui ont permi le développement d'une aussi grande ville aussi près d'un des plus dangereux volcans du monde ?
    Les scientifiques ont des outils pour travailler, pas des certitudes, la sismologie et la vulcanologie sont des sciences trop récentes pour en tirer de quelconques conclusions... Les mécanismes terrestres ne sont pas tous connus ou compris... Les responsables de l'effondrement de l'Aquila ne sont pas les scientifiques, ce sont les personnes qui n'ont pas suivi les recommandations de contruire en para sismique, c'est la corruption humaine qui a capté les fonds nécessaires à ces constructions, ce sont les autorités locales et nationales qui n'ont pas agi connaissant la géologie des appenins. Le grand responsable est la planète terre elle même, mais nous ne pouvons la trainer en justice... L'autre est l'espèce humaine.