Vivre sous une dictature... pour une émission de télé-réalité

Des jeunes Suédois placés artificiellement sous la coupe d'un dictateur pour démontrer les bienfaits et les limites de la démocratie. Il fallait oser. La chaîne publique, SVT2, l'a fait.

Par Bertrand Villegas (expert médias)

Publié le 11 novembre 2014 à 16h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h22

En Suède comme ailleurs les jeunes se désintéressent de la politique. Pour tenter d’y remédier, la télé publique éducative suédoise SVT2, vient d’avoir une idée étrange : enfermer des jeunes et les faire vivre dans une dictature afin de leur faire comprendre l’essence de la démocratie. Le programme baptisé Le Dictateur (Diktatorn) est diffusé depuis fin octobre 2014 et a déjà réussi à créer un débat sur les limites de la liberté d’expression car un des participants à cette expérience est ouvertement raciste.

A première vue, Le Dictateur ressemble à un Loft Story sinistre. Quatre garçons et quatre filles, de 18 à 24 ans, qui ne se connaissent pas, pénètrent dans un hôpital désaffecté. Ils vont tenter d’y séjourner huit jours, isolés, sans téléphone mobile. Les chambres individuelles ressemblent à des cellules et la pièce de vie commune est quasi vide. Soumis au règne de l’arbitraire, ils ne savent pas ce qui les attend.

Privation totale de droits individuels

10 000 euros sont en jeu, mais personne (y compris le téléspectateur) ne sait quand et comment les empocher : le « Dictateur », invisible comme il se doit, fait la loi. Il communique ses ordres par messages écrits, signalés par une alerte lumineuse et sonore. Sa politique : priver les participants de liberté individuelle, de confort, de sommeil. Le premier jour, il demande aux participants de se défaire de leurs effets personnels. Que faut-il garder ? La brosse à dents, le maquillage ou le papier hygiénique ?

Le « guide », le seul autre être humain présent, s’assure que l’autorité du dictateur est respectée. Les jours suivants sont rythmés par l’exécution obligatoire de tâches répétitives et du couvre-feu. Le but de l’expérience : comprendre ce que signifie très concrètement d’être privé de ses droits individuels et observer la réaction de différents types de personnes à cette situation, entre soumission et rébellion.

Ce genre de mise en scène est assez classique sur certaines chaînes publiques européennes qui tentent ainsi de sensibiliser les jeunes téléspectateurs aux problèmes de société. Il puise dans les codes de la télé-réalité qui, depuis Big Brother (Loft Story en France), est devenu le langage de cette classe d’âge et s’inspirent de dispositifs d’expériences psycho-sociales américaines des années 60-70. La réaction d’un groupe d’êtres humains face à la discrimination raciale a ainsi été testée récemment en Allemagne et aux Pays-Bas. 

La liberté d'expression poussée à l'extrême

C’est sur la question du racisme que Le Dictateur a été attaqué avant même sa diffusion. Dans la bande-annonce du programme un des huit participants affirme sa peur : que le Dictateur soit musulman. Un journal a retrouvé sur Facebook une photo de ce garçon déguisé en soldat nazi. Le jeune homme s'avère être un sympathisant des Démocrates de Suède (SD), le parti politique d’extrême droite qui a fait sensation aux législatives suédoises de septembre 2014.

La chaîne assume : pour affronter le Dictateur, elle a choisi volontairement des profils marqués reflétant les différents visages de la jeunesse actuelle. La presse se pose elle la question : faut-il donner la parole à tous, y compris à un discours raciste, au nom de la liberté d’expression propre à la démocratie ? Avec ce scandaleux candidat « nazi », la chaîne semble en tout cas avoir gagné une partie de son pari : faire réfléchir en prime time le jeune public suédois aux forces et faiblesses de leur système politique.

Bertrand Villegas est cofondateur de The Wit, un site d’information professionnelle sur les programmes de télévision du monde entier lu par les principales chaînes et producteurs français et internationaux. Il révèle et analyse les tendances et spécificités des écrans étrangers qui peuvent aussi bien étonner qu’inspirer. Retrouvez sa chronique tous les mardis sur Télérama.fr.
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