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Nucléaire

Greifswald : un chantier nucléaire pharaonique en Allemagne

Deuxième volet de notre série : reportage à Greisfwald, dans l’ex-RDA, la plus grosse centrale au monde en cours de déconstruction. Du plus petit boulon jusqu’aux monstrueuses cuves, tout est récuré pour être décontaminé et remis si possible sur le marché. A quel prix ?

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L'intérieur de la centrale de Greifswald, en cours de démantèlement en Allemagne.

Au cœur de la centrale nucléaire de Greifswald, en cours de démantèlement en Allemagne depuis plus de dix ans.

IRSN Philippe Dureuil

A 60 ans, Eckhard Skaebe est un rescapé. Il est l'un des 860 travailleurs sur les 5000 qu’employait autrefois la centrale de Greifswald, dans dans l'est de l'Allemagne, à avoir conservé un job sur place. Entré en 1974 comme apprenti réparateur, il œuvre depuis maintenant 22 ans au démantèlement de l’immense centrale de Poméranie aux 8 réacteurs. " C’est le cycle de la vie, explique-t-il, philosophe. J’ai toujours œuvré pour la sécurité. Aujourd’hui, c’est en enlevant la radioactivité. Il est de notre responsabilité de démanteler et de ne pas laisser le chantier aux générations futures ".
 

Eckhard Skaebe: l'ancien réparateur est devenu démanteleur.

C’est la réunification de l’Allemagne qui a sonné prématurément le glas de cette centrale installée sur 20 hectares au bord de la mer Baltique : pas question pour les Länder de l’ouest de laisser en service ses cinq réacteurs soviétiques à eau pressurisée de type VVR 430-220. Greifswald, rêvée comme la plus grosse centrale d’Europe, n’a donc produit de l’électricité qu’entre 1973 et 1990, avec cinq réacteurs seulement. Désormais, le gros vaisseau industriel est même cerné par les champs d’éoliennes. Berlin a choisi de renoncer progressivement au nucléaire à la suite de la catastrophe de Fukushima, et ses huit derniers réacteurs devront fermer en 2022.

33 ans de travaux, 800 millions d’euros par tranche

Contrairement à l’Italie (lire notre reportage à Garigliano), l’Allemagne a fait le choix de démanteler ses centrales au plus vite après leur fermeture. "Nous réalisons ainsi jusqu’à 20% d’économie par rapport à nos prévisions", assure Henry Cordes, patron de ENW, entreprise fédérale chargée de la déconstruction et du traitement des déchets radioactifs. Il en coûterait tout de même 750 à 800 millions d’euros par unité (réacteur), de la déconstruction au stockage des déchets en passant par la décontamination.

Greifswald est méthodiquement mise en pièce depuis 1995, mais les opérateurs, qui espéraient en avoir terminé en 2012, tablent aujourd’hui sur 2028. Le démantèlement aura donc nécessité 33 ans.

Le hall du réacteur 3 et le puits du cœur.

Dans le hall du réacteur 3, un trou de 24 m de profondeur et 6 mètres de diamètre, vidé de sa cuve et de son cœur, donne une idée du gigantisme du chantier. "Au début d’un démantèlement, c’est rapide et spectaculaire, et l’on ressent une immense fierté à dégager les plus grosses pièces de la centrale, explique Gudrun Oldenburg, directrice de la communication d’EWN, en guidant experts de l’IRSN et journalistes dans les entrailles de la centrale.  Mais ensuite commence un très long travail minutieux et fastidieux, puisqu’il faut déconstruire l’entièreté des bâtiments, jusqu’au moindre câble, éliminer toute contamination, qu’il s’agisse de poussières radioactives ou de poussières d’amiante".

L’accès aux différentes zones est strictement contrôlé : les visiteurs entièrement déshabillés, doivent enfiler différentes couches de protection, porter un dosimètre et se soumettre à plusieurs scanners -mains, pieds puis corps entier deux fois de suite- à la sortie de chaque point chaud visité. C’est un soulagement quand la machine annonce "Keine Kontamination" après un lent décompte et lève sa barrière de sécurité.

Mines de sel ou couches d'argile? Le choix du stockage des déchets n'est pas fait

Beaucoup de décontaminateurs travaillent avec des systèmes télé-opérés : ils pilotent à distance des robots qui découpent les plus grosses pièces sous l’eau ou à sec et notamment les pièces qui sont non seulement contaminées, mais aussi activées intrinsèquement : typiquement la cuve et ses composants, qui ont été au contact avec la réaction nucléaire. Ces morceaux irradiants demandent les plus grandes précautions, seront traités, scellés dans des colis et stockés pour des décennies sur le site en attendant un « sanctuaire » dédié prévu au mieux, "d'ici quelques décennies". Tout comme l’Italie, l’Allemagne veut creuser un stockage profond pour ses déchets les plus radioactifs mais elle hésite encore entre les mines de sel et les couches argiles.

 

Découpe de plaques contaminées au chalumeau.


Sur le chantier, on croise aussi des hommes en combinaison et masque, juchés sur des échafaudages à roulette, qui poncent et aspirent les poussières radioactives des murs. Plus dur encore est le travail de ceux qui sont bouclés dans des casemates et découpent des pièces au chalumeau, nettoient la radioactivité extérieure de pièces métalliques avec des jets surpuissants de poussières d’aciers ou d’eau. D’autres nettoyeurs plongent les pièces dans des grands bains d’acide ou d’électrolyse avant de les rincer au karcher (Voir nos photos).

 

Passer de 98% à 2% de déchets radioactifs seulement

Du plus petit écrou jusqu’à la plus monstrueuse des cuves, tout est récuré dans le but d’être remis en circuit, comme l’y encourage la loi.Les opérateurs de Greisfald veulent réduire les 98% de déchets radioactifs générés par la centrale à 2% seulement.  "Les Allemands ont en effet adopté un seuil de libération des déchets : lorsqu’ils sont décontaminés ou présentent une très très faible radioactivité, jugée inoffensive pour la santé et l’environnement, férailles, bétons, gravats peuvent être revendus ou recyclés", explique François Besnus, expert environnement de l’IRSN. Ce spécialiste des déchets reste pensif devant l’ampleur des tâches menées,  le système de contrôle qui devra accompagner l’élargissement de tous ces matériaux et surtout l'accueil que leur feront les industriels... En France, le problème ne se posera pas: tout ce qui sort d’une zone contrôlée est considéré comme un déchet radioactif, même s’il n’est pas contaminé ou irradiant, et doit finir dans une décharge spécialisée selon son degré de radioactivité.

Après un bain d'acide, les plaques sont nettoyées au Karcher.

Crédit toutes photos : IRSN/ Philippe Dureuil.

 

A suivre: Chooz A: comment on démantèle en France.

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