Par contre pour le cuit, Stéphane Marchand avoue avoir un peu "galéré" au début. Sans additifs, son jambon gris ne se vendait pas trop bien. Seuls les clients conscientisés au bio acceptaient cette teinte. Il a donc fallu innover. "Depuis 5 ou 6 ans, la technologie a évolué dans le bon sens, se félicite Stéphane Marchand. Le procédé coûte plus cher que le traditionnel. Mais on trouve des solutions végétales un peu partout".
Quelles solutions ? Il faut "extraire du nitrate naturel,du jus de céleri fermenté sur lactobacille, séché et réduit en poudre, pour apporter la nitrite et la couleur rose. Pas écarlate, mais cela donne un jambon qui tient. Le temps de salage est plus long que le conventionnel, presque le double en comptant de la cuisson jusqu’à la vente. Car en bio, cela demande du temps de repos plus long mais le temps est notre allié", explique Stéphane Marchand.
La poudre d'extrait de céleri est sans effet nocif car potentiellement annihilé par les antioxydants présents dans l'extrait végétal.
La Wallonie reste la région vraiment bio
"Il y a 5 ou 10 ans, je me sentais pénalisé, défavorisé mais la recherche aidant je me retrouve en avance, la Wallonie reste la région vraiment bio, et on arrive au même résultat que les autres, avec l’avantage de pouvoir mettre "sans nitrite chimique'".
Le producteur namurois insiste : "On trouve du nitrite partout, dans les légumes, dans les embouteillages. Le danger c’est sa transformation en nitrosamine". C'est en effet un détail important : pour le lard fumé ou salé, pour le bacon, car chauffé à plus de 130°, en le grillant, il produit alors des nitrosamines, cancérigènes.
Reconversion possible
Dans l'émission "Bientôt à table"à réécouter ici sur Auvio où était invité Guillaume Coudray, on entendait aussi Jean-Pierre Cuvry, éleveur et producteur établi en périphérie bruxelloise à Dworp (Beersel), expliquer qu'il produisait à la fois des charcuteries avec et sans nitrites.
Pourquoi ? "C'est la faute aux consommateurs et aux écoles de boucherie qui apprennent aux étudiants à employer tous ces produits", dit-il. La moitié des jambons qu'il vend sont donc encore nitrités, mais il a entamé le mouvement vers le non nitrité, outre le fait qu'il n'emploie pas de phosphate, ce qui conserve mieux la texture à son jambon.
Sans sel nitrité, le jambon de Jean-Pierre Cuvry est moins rose, tout en n'étant pas gris. Le producteur reconnait qu'il y a encore beaucoup de travail pour conscientiser le public. Il observe que ce sont souvent les jeunes qui acceptent d'acheter un jambon "pas tout à fait rouge"...
En Flandre également, Hendrik Dierendonck produit des viandes et charcuteries non pas bio mais naturelles et qualitatives. Ce boucher de la côte croit que "l'avenir de la charcuterie est sans nitrite". Il est à la recherche d'une alternative qui soit bonne pour la santé, mais ce n'est pas évident, confie-t-il. Pour l'instant, il réduit fortement le ratio de sel nitrité dans ses jambons cuits et propose déjà dans sa gamme de nombreux produits qui s'en passent totalement : entrecôte séchée, jambon sec, pastrami d'agneau...
D'autres exemples existent, en France, avec un jambon qui n'aurait pas perdu de sa couleur chez Rostain à Gap, ou Biocoop ou encore Herta, ainsi qu'au Danemark chez Hanegal.
Pas de label, mais des alternatives naturelles
Ni en France, grand producteur et consommateur de jambon cuit, ni en Belgique n'existe de label garantissant l'absence de nitrates et nitrites : il faut regarder l'étiquette. C'est ce qu'on conseille d'ailleurs du côté de Delhaize qui propose des jambons cuits dans du bouillon de légumes.
En effet, outre le jus de céleri et le sel marin déjà cités, les bouillons de légumes fermentés (bette, carotte, céleri) fournissent du nitrite naturel. D'autres conservateurs naturels existent, note Ariane Beaudelot :
- Jus de citron
- Fruit de l’acerola (contient 20 à 30 fois plus de vitamine C que l'orange)
- Vinaigre
- Sucre de canne (nourrit les bonnes bactéries pour éviter la prolifération des nocives pour l’homme)
- E392 : extrait de romarin (autorisé dans le cahier des charges bio si produit de façon biologique)
- E300 : acide ascorbique (la vitamine C de synthèse est autorisée en bio)
Ainsi que des colorants naturels :
- Poudre de betterave rouge
- Acide ascorbique ou vinaigre pour fixer la couleur
Autre remarque importante, "la dose de nitrite nécessaire pour produire la couleur est plus faible que la dose nécessaire pour produire un effet antimicrobien. Le fait d’obtenir la couleur souhaitée ne signifie dès lors pas forcément qu’on produit un effet antimicrobien".
Recettes secrètes
Mais elle poursuit : "La complexité dans la recherche d’alternatives réside en partie dans le fait que beaucoup d’opérateurs qui travaillent sans sels nitrités tiennent leurs recettes et procédés de fabrication secrets. Plus d’études et de recherches mériteraient d’être développées sur ce sujet pointu."
En conclusion, Guillaume Coudray souligne que ce n'est pas aux producteurs de résoudre ce problème, mais bien aux autorités, pointant en premier lieu les autorités sanitaires, comme l'EFSA, l'agence sanitaire européenne, qui continuent à autoriser ces dangereuses molécules. L'EFSA continue pour l'instant à affirmer que les niveaux de sécurité existant pour les nitrites et les nitrates ajoutés à la viande sont adéquats.