Philosophe, anthropologue et sociologue des sciences et des techniques à la renommée internationale, Bruno Latour est mort dans la nuit du 8 au 9 octobre. Chercheur multiple, il avait 75 ans et ses idées inspirent très largement ceux et celles qui se réclament de l’écologie, mais pas seulement. Le régime climatique qu’il évoquait appelle d’autres politiques qui peinent à trouver une traduction électorale, malgré la montée des déséquilibres sur la terre qu’il appelait Gaïa. Il leur opposait des alternatives théoriques constructives, loin du catastrophisme stérile.

"Le contraste entre le calme avec lequel nous continuons à vivre tranquillement et ce qui nous arrive est vertigineux. D’autant que je ne crois pas aux vertus du cataclysme, et que les gens vont se mobiliser de plus en plus au fur et à mesure que les catastrophes vont se multiplier", disait Bruno Latour. Sa mort a déclenché une vague d’hommages destinés à mieux faire connaître sa pensée riche et complexe croisant techniques, sciences, philosophie et sociologie pour repenser les liens entre les humains, la nature et les machines. Il prônait une écologie constructive fondée sur une vision théorique qu’il avait résumée dans son livre sorti en 2021, "Mémo sur la nouvelle classe écologique. Comment faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même".
Pour lui, le nouveau régime climatique qui est déjà installé, suppose une mobilisation générale pour repenser toutes les dimensions de l’existence quotidienne, à toutes les échelles et sur tous les continents. Bruno Latour a dirigé le laboratoire de recherche de Sciences Po de 2007 à 2012 et en était resté professeur émérite associé. Il avait inspiré de nombreux programmes de recherche dont le point commun est la transversalité et le travail collectif et y avait créé le Medialab.


Ses anciens élèves comme la journaliste Paloma Moritz, témoignent de l’originalité de sa pensée et de sa capacité à bousculer intellectuellement ses élèves et à "gripper leur machine à penser automatique".



Bruno Latour en était conscient mais déplorait malgré tout, dans un entretien avec Mediapart d’avril 2022, les limites de ses capacités de "bifurcateur" : "Quand je pense qu’il y a parmi les consultants de McKinsey beaucoup de mes anciens élèves de Sciences Po, c’est terrible !"

"Une situation de guerre généralisée"


Dans ce même entretien postérieur au premier tour des Présidentielles où Yannick Jadot a obtenu 4,5 % des voix, Bruno Latour reconnaissait "qu’il est difficile pour quelqu’un qui a écrit sur l’hégémonie potentielle, au niveau national ou mondial, de la classe écologique de se retrouver à 4,5 %". Il ajoutait pour expliquer cette situation : "On se trouve aujourd’hui dans une multitude de guerres pour la terre, celle que mène Poutine en Ukraine, mais aussi l’extractivisme, les différentes formes de colonisation. On se trouve donc dans une situation de guerre généralisée, mais dont les fronts ne sont pas stabilisés. Ce qui fait que chacun de nous se trouve dans la situation paradoxale d’être mobilisé, au sens où nous sommes conscients des menaces, mais néanmoins immobilisés".
Pour éclairer le chemin dans ce monde si déstabilisant, il est urgent de lire, relire et écouter Bruno Latour dont la pensée lui survivra d’autant plus qu’elle aide à porter un autre récit de cette époque déliquescente au premier regard.  C’est ce que propose Arte par exemple.
Opposé aux collapsologues, Bruno Latour prônait la prise de conscience d’une "apocalypse qui montre que face à une situation donnée, il faut abandonner les faux espoirs pour recommencer une histoire positive en constatant que les marges de manœuvre sont nombreuses, les innovations aussi, bref de dire : non la Terre ne va pas disparaître, les humains non plus. Il faut se mettre au boulot !"
Anne-Catherine Husson Traore, @AC_HT_, directrice générale de Novethic

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