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Pasteur et la génération spontanée

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11 novembre 2022

Louis Pasteur, après avoir montré le rôle des microbes dans la fermentation, se lance dans une controverse sur la génération spontanée, vieille théorie remise en selle par Félix Archimède Pouchet. Les deux savants s’affrontent à coups de ballons de verre remplis de bouillon de culture.

Annales de chimie et de physique, 1862

Une théorie ancienne

L’origine de la vie intéresse les scientifiques dès l’Antiquité qui voit Aristote défendre la théorie de la génération spontanée. Au XVIIe siècle, Jan Baptist Van Helmont déclare : « Pour obtenir des souris, il suffit de comprimer une chemise sale à l’orifice d’un vase contenant des grains de blé. Le ferment sorti de la chemise sale modifié par l’odeur du grain transformera le froment en souris après 21 jours. » A l’inverse, Francesco Redi montre, en 1671, que les asticots présents dans la viande pourrie sont les larves des mouches qui y ont déposé leurs œufs. Pour le prouver, il suffit de protéger la viande avec de la gaze, ce qui empêche l’apparition des larves. Au siècle suivant, John Needham déclare voir apparaît des organismes dans un bol scellé et chauffé contenant du jus de mouton. Lazzaro Spallanzani lui réplique qu’en chauffant suffisamment la préparation, aucun organisme ne se développe, ce à quoi Needham répond en affirmant qu’il a ainsi détruit le « principe vital » permettant la génération spontanée.

spallanzani.jpg

Spallanzani, Lazzaro (1729-1799)

Le lancement de la controverse

Le débat reprend au milieu du XIXe siècle, relancé par Félix Archimède Pouchet, directeur du muséum de Rouen. Ce dernier défend l’ovulation spontanée des mammifères, niant le rôle des spermatozoïdes dans la reproduction. En 1858, il envoie deux notes à l’Académie des Sciences, où il défend la génération spontanée qu’il qualifie d’hétérogénie, puis fait paraître Hétérogénie, ou Traité de la génération spontanée en 1859. Il y affirme que la vie peut apparaître à partir des restes d’êtres vivants. De son côté, Pasteur, déclare à l’Académie des Sciences, la même année, que la fermentation se développe sur du sucre candi pur, qui n’est pas issu de restes organiques, ce qui lui permet de conclure : « Sur ce point, la question de la génération spontanée a fait un progrès. » La controverse entre les deux hommes peut commencer.

Paul-G. Charpentier, Les microbes, Paris, 1909

Microbes, ballons et prélèvements

Pour trancher le débat, l’Académie des Sciences, peu convaincue par l’argumentation de Pouchet, constitue une commission chargée d’attribuer le prix Alhumbert à qui pourra éclairer la question. Pasteur compte bien emporter ce prix en montrant que l’air contient des microbes. Pour cela, il confectionne une pompe qui aspire l’air par un trou pratiqué dans une fenêtre de l’Ecole normale supérieure. Un filtre en coton récupère les poussières qui sont ensuite analysées.

Annales de chimie et de physique, 1862

Pasteur observe alors que le nombre de microbes dans l’air varie en fonction des conditions climatiques. À l’été 1860, il fait donc des prélèvements d’air à Paris, à Arbois ou à la Mer de Glace et montre que les microbes sont peu nombreux en altitude. De son côté, Pouchet fait des prélèvements dans les Pyrénées et même au sommet de l’Etna en septembre 1860, et il déclare que les microbes se développent dans tous ses ballons, ce à quoi Pasteur répond que Pouchet a mal stérilisé ses préparations.

Paul-G. Charpentier, Les microbes, Paris, 1909

Pasteur a mis au point un protocole strict : il utilise des ballons en verre à col vertical, y fait bouillir un milieu nutritif pour le stériliser, et scelle le col. Quand il veut faire un prélèvement, il brise l’extrémité du col avant de le refermer à la flamme. Lorsque des microbes se développent, le milieu de culture se trouble. Pasteur dépose, à l’Académie des Sciences, des ballons contenant des prélèvements d’air et qui ne montrent pas de développement microbien plusieurs mois après.

Les ballons à col de cygne

Pouchet objecte qu’en chauffant l’air, Pasteur a détruit un élément nécessaire au développement des microbes. Pour contrer l’argument, Pasteur utilise des ballons à col de cygne : leur goulot, fin, long, étroit et courbé, ne permet pas aux microbes de remonter jusqu’au bouillon de culture. Ce dernier reste intact car protégé du contact de l’air, mais il se trouble quand il est ensemencé avec les poussières de l’air récupérées avec les filtres en coton.

Revue encyclopédique : recueil documentaire universel et illustré, 1895

En 1862, les partisans de Pouchet renoncent à se présenter devant la commission de l’Académie des Sciences, qu’ils jugent de parti pris, et Pasteur remporte le prix. Comme la contestation se poursuit, une seconde commission de l’Académie des Sciences est constituée le 4 janvier 1864. Elle doit se réunir le 22 juin. La controverse sort des paillasses des laboratoires pour enflammer l’opinion publique. Pasteur présente ses conclusions dans une conférence dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne le 7 avril et emporte l’adhésion d’un public nombreux où se pressent des personnalités comme Alexandre Dumas, George Sand, la princesse Mathilde ou Louis Figuier. Il montre que, dans les ballons de Pouchet, les microbes arrivent par le mercure de la cuve. Il conclut ainsi : « Jamais la doctrine de la génération spontanée ne se relèvera du coup mortel que cette simple expérience lui porte. » Lorsque la commission de l’Académie des Sciences se réunit, les partisans de Pouchet contestent la façon dont se déroule la séance et finissent par la quitter, laissant Pasteur montrer ses résultats. La commission conclut, le 20 février 1865, en faveur de Pasteur.

Le contexte idéologique

La controverse s’insère alors dans un contexte politico-culturel qui l’influence. En effet, les adversaires de la génération spontanée assimilent celle-ci au matérialisme et à l’athéisme car cela signifie que Dieu n’a pas créé la vie au commencement des temps et une fois pour toutes. De l’origine des espèces de Charles Darwin a été traduit en français en 1862 et des partisans de la génération spontanée défendent la théorie de l’évolution, au contraire des institutions scientifiques, plus conservatrices, et soutiens de Pasteur. Si des considérations idéologiques peuvent influer les protagonistes, elles ne retirent rien à la rigueur du protocole scientifique employé par Pasteur.

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Carl Bernhard Lehmann, Atlas manuel de bactériologie, Paris, 1906

Le progrès et la chance

Néanmoins, ce dernier a aussi eu de la chance car, en 1876, est découvert Bacillus subtilis, présent dans les décoctions de foin de Pouchet ; il peut former des spores résistant aux températures qui tuent les autres microbes et aurait pu invalider les résultats de Pasteur en donnant l’impression que la vie pouvait apparaître spontanément dans des ballons stériles. La controverse a eu également le mérite de montrer la présence des microbes dans l’air, faisant progresser la microbiologie.

Paul-G. Charpentier, Les microbes, Paris, 1909

Pour aller plus loin

Cycle de billets Gallica réalisé à l’occasion du Bicentenaire de la naissance de Louis Pasteur
Site du Bicentenaire de la naissance de Louis Pasteur
Bibliographie sur Louis Pasteur

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