Et si on arrêtait d'enfouir les pales d'éoliennes?

En France, la fin de vie de la première génération d’éoliennes pose la question de leur recyclage. Des solutions émergent pour les pales en composite, élément le moins bien valorisé.

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Et si on arrêtait d'enfouir les pales d'éoliennes?
La demande mondiale de fibre de carbone pour l’éolien est estimée à 20 880 tonnes en 2018.

Huit cent quarante tonnes de béton, 300 tonnes d’acier et 25 tonnes de composites, c’est à peu près ce que représente une éolienne de 2 MW. Quelques dizaines seulement de ces moulins à vent ont été démantelées en France depuis l’installation du premier parc en 1996. Dans cinq ans, ils seront 1 500 à laisser la place à des modèles plus puissants.

Un nombre qui va inévitablement augmenter compte tenu de l’accélération des investissements en matière d’énergie renouvelable prévus par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). "À partir de 2020, plusieurs centaines de machines devront être démantelées chaque année", prévient Didier Evano, le président de Net-Wind, une PME spécialisée dans la maintenance éolienne située en périphérie de Nantes, à La Chevrolière (Loire-Atlantique). Un démantèlement qui pose un nouveau défi, celui de la valorisation des composants des éoliennes.

Une préoccupation récente

Une question dont on se préoccupe depuis peu dans l’Hexagone. "On commence juste à se saisir du sujet", indique Paul Duclos, le responsable de la filière éolienne au Syndicat des énergies renouvelables. De son côté, l’association France énergie éolienne a créé, début janvier, un groupe de travail consacré au recyclage. Dans ce paysage, le projet D3R, porté par Net-Wind, fait figure de pionnier. Son objectif est de créer une filière dédiée au recyclage et au réemploi des composants d’éoliennes.

Si un marché de seconde main se met en place, c’est surtout l’avenir des matériaux qui focalise les attentions. "Quelque 90% sont recyclés dans les filières", affirme Sébastien Billeau, ingénieur à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), faisant référence au poids total. Il parle en fait du mât et des fondations. Les 10% restants, les rotors, se révèlent plus problématiques.

Essentiellement conçues à partir d’un mélange de résine époxy ou de polyesters et de fibre de verre (60% à 70% des éoliennes), les pales les plus récentes intègrent aussi de la fibre de carbone, pour raidir des longueurs de plus en plus importantes. En quarante ans, le diamètre des rotors est passé de 17 à 160 mètres avec des perspectives à 250 mètres pour l’offshore. En outre, chaque pale contient de l’électronique, du fil antifoudre, du balsa, de l’adhésif… Une masse hétérogène qui représente 5 à 10 tonnes et présente pour l’instant des perspectives limitées de valorisation.

Rarement brûlées en cimenterie, souvent enfouies

En l’absence de marché aval, les pales terminent au mieux, valorisées énergétiquement, au pire enfouies en décharge. Dans le premier cas, elles sont déchiquetées et éventuellement broyées avant d’être introduites dans un four de cimenterie en remplacement du mazout. Les broyats peuvent entrer dans la constitution de combustibles solides de récupération (CSR), mais à un coût dissuasif.

Résultat, les morceaux sont enfouis dans "la majorité des cas", affirme Delphine Garnier, la responsable ingénierie du projet D3R. À l’instar de ce qui se passe dans l’industrie nautique qui utilise, elle aussi, une grande quantité de composites en fibre de verre. "Il n’y a pas encore de filière de valorisation matière", reconnaît Ivana Lazarevic, chargée de mission pour la Fédération des industries nautiques, qui pointe un gisement éparpillé et compte sur l’union des secteurs pour massifier les flux et justifier la création d’une filière de recyclage.

Peu de débouchés pour les composites

L’initiative aurait du sens. "Le recyclage est freiné par des coûts de collecte et de traitement élevés", observe Mathieu Schwander, le responsable du programme smart composite à IPC, le centre de recherche de la plasturgie. Et lorsque recyclage il y a, le downcycling (dégradation de la matière) reste largement privilégié. "Une fois broyée et tamisée, la fibre de verre longue peut être réutilisée dans la composition du béton, indique Mathieu Schwander. Une réincorporation de fibres courtes ou de poudre est également possible en vue d’une reformulation plastique."

Les applications restent limitées, mais on en trouve quelques-unes dans la production de mobiliers urbains (structures d’aires de jeux pour enfants, bancs, abribus), les murs antibruit ou encore des enrobés routiers. Et pour cause. "Une fois la séparation des composés effectuée, la fibre de verre recyclée perd une grande partie de ses propriétés mécaniques", précise Xavier Py, chercheur au laboratoire des procédés, matériaux et énergie solaire de l’université de Perpignan (Pyrénées-Orientales).

Le carbone change la donne

L’une des mutations des éoliennes qui pourrait justifier d’aller vers de l’upcycling (un retour à une matière équivalente) est la part grandissante de fibre de carbone. Ce composé fait l’objet d’une attention grandissante de la part des recycleurs. Coûteuse, cette fibre est pourtant de plus en plus utilisée. De 58 000 tonnes en 2015, la demande mondiale est passée à 78 500 tonnes en 2018 et devrait atteindre les 120 500 tonnes en 2022, selon un rapport sur le marché mondial des composites réalisé par AVK, la fédération allemande des plastiques renforcés. L’éolien en représente l’un des principaux marchés, après l’aéronautique et l’automobile. "Le recyclage d’une pale se justifie même s’il n’y a que 10 à 15% de fibre de carbone dedans", assure Franck Glowacz, expert composite de JEC Group.

Plusieurs sociétés y travaillent en Europe. Parmi elles, le gestionnaire de déchets Veolia. L’industriel étudie différentes solutions pour récupérer une fibre avec des caractéristiques quasi identiques à celles de la fibre vierge. L’une d’entre elles, la solvolyse, utilise l’eau. Une fois portée en condition supercritique, c’est-à-dire à la limite entre l’état solide et gazeux, le liquide se comporte comme un solvant. Il dégrade la résine et la sépare de la fibre.

Veolia expérimente aussi la pyrolyse, un procédé utilisant une action thermique à haute température (entre 400 ° et 750 °C). "Ce procédé a l’avantage d’être moins énergivore que de produire de la fibre vierge", précise Mathieu Schwander. L’entreprise gestionnaire de déchets reste encore très discrète sur l’avenir de ces technologies. Elle indique juste se situer à une échelle pilote en laboratoire et évoque des pistes de développement en cours en Europe pour un passage à l’échelle du démonstrateur industriel cette année.

L’écoconception entre en jeu

Son concurrent Suez Environnement investit depuis plusieurs années dans le recyclage des composites. Le groupe a développé en partenariat avec XCrusher, une start-up située à Strasbourg, un procédé éponyme. Derrière ce nom aux airs de science-fiction se cache une technologie de rupture reposant sur l’utilisation de puissances pulsées. Initialement destinée à valoriser le composite de carbone des avions, la solution peut séparer les éléments contenus dans des objets complexes tels les produits électriques et électroniques. Aucun contact n’est pour cela nécessaire. De très fortes puissances électriques broient et fragmentent les matériaux. Les différents éléments, comme la résine et la fibre, sont alors séparés selon leur conductivité électrique.

"D’ici à 2030, il y aura 375 000 tonnes de pales issues du démantèlement des éoliennes en Europe", alerte Christophe Magro, le responsable des projets R&D de la plate-forme Canoe, le centre de R &D spécialisé en formulation et procédés de fabrication pour le développement de composites et matériaux avancés. De quoi stimuler l’innovation.

Dépolymériser les composites pour mieux les recycler

La plate-forme travaille depuis 2015 sur l’écoconception des pâles. Un mot "oublié", au même titre que le recyclage, par les fabricants, considère le responsable. Canoe participe au projet Effiwind, financé par l’Ademe, qui regroupe des entreprises comme Arkema, Plastinov, Bernard et Bonnefond… Il vise à remplacer la résine thermodurcissable par une résine thermoplastique. Un défi relevé par l’Elium, une résine acrylique produite par Arkema. Ainsi constituée, la pale pourra, une fois broyée, être dépolymérisée selon un procédé de cracking.

En outre, cette résine "polymérise à température ambiante, économisant un cycle de cuisson lors de la fabrication, explique Patrice Gaillard, le directeur de Canoe. On peut utiliser les mêmes outils industriels que les procédés classiques pour les résines thermodurcissables, comme l’infusion qui consiste à déposer sur un moule des tissus et à infuser sous vide". Autre atout, sa réparabilité. Elle facilite le soudage, bien utile en cas d’impact de foudre. En mai, trois pales de 23 mètres seront testées en Bretagne durant un an.

Face aux enjeux environnementaux, la question n’est plus seulement de savoir produire une énergie propre. Cette production doit aussi limiter les transferts de pollution tout au long du cycle de vie. L’industrie de l’éolien, challengée sur ses composites, pourrait bien entraîner avec elle d’autres filières confrontées au même questionnement sur la recyclabilité de leurs matières comme l’auto, le naval et l’aéro.


Un nouveau type de brique pour stocker l’énergie solaire

Les centrales solaires thermodynamiques utilisent les sels de nitrates pour stocker la chaleur. Ce produit très utilisé par l’agroalimentaire commence à manquer. Xavier Py, chercheur au laboratoire des procédés, matériaux et énergie solaire de l’université de Perpignan (Pyrénées-Orientales), travaille sur une autre voie : « Cela fait deux ans que nous utilisons les composites des pales pour produire une solution de stockage haute température. »

Actuellement en phase laboratoire, ces travaux sont issus de précédentes recherches ayant abouti à la fabrication de briques en céramique réfractaire. Utilisées par Eco-Tech Ceram, ces briques servent à stocker la chaleur émanant des cheminées avant d’alimenter des fours industriels. Le chercheur mise sur la forte conductivité thermique des déchets organiques et inorganiques contenus dans le mélange pour créer un nouveau type de brique qui pourrait, d’ici quelques années, remplacer les sels de nitrate. « Nous augmentons la quantité thermique stockée (jusqu’à 1 000°C) et accélérons les transferts de chaleur », résume le scientifique. Une solution à la fois écologique et économique pour les centrales du futur.

 


Les rotors, une mine de composites

  • Les pales pèsent 8 % du poids total de l’éolienne
  • Le parc français comptait 100 000 tonnes de pales en composite en 2014
  • Le flux de matières composites des pales sortant du parc français atteindra 15 000 tonnes en 2029

Sources : Ademe

 

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