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"Nucléaire bon marché" : la fin du mythe

"Nucléaire bon marché" : la Cour des Comptes brise le mythe

Article publié le 31 janvier 2012



A l’issue de 7 mois de recherche, des impasses, des trouvailles et beaucoup d’incertitudes

Proposée par le WWF en mai 2011, l’idée d’un audit des coûts du nucléaire a enchanté Nicolas Sarkozy, qui y voyait une occasion en or de démontrer, à l’approche de la période électorale, le caractère prétendument bon marché de son énergie préférée. L’étude a débuté en juillet 2011, pour une publication fin janvier 2012. Un délai très restreint pour un thème aussi vaste et aussi épineux, même si cette juridiction indépendante s’était déjà penchée précédemment sur les coûts du démantèlement et de la gestion des déchets.

En si peu de temps, et compte tenu du secret qui entoure les données, de la mauvaise volonté des industriels, ou tout simplement de l’impossibilité de prévoir l’avenir, faire toute la lumière sur le sujet était impossible. Des impasses (regrettables) ont été effectuées, et une grande partie des chiffres obtenus sont à prendre avec des pincettes, la Cour elle-même soulignant les énormes incertitudes sur de nombreuses questions. Toutefois, contredisant les espérances de Nicolas Sarkozy, le travail effectué a aussi permis d’épingler certains coûts colossaux. Citons par exemple celui de la recherche dans le nucléaire, depuis le début du programme atomique, qui s’élève à 55 milliards d’euros ; celui de l’accompagnement des convois de déchets nucléaires, qui est de 4,5 millions d’euros par an (dont 4 restant à la charge des gendarmeries), celui du réacteur Superphénix (12 milliards d’euros en tout). D’autres sont inquiétants par leur faible montant, comme celui de l’assurance. Si un accident survenait maintenant, seuls 90 millions d’euros seraient à la charge de l’exploitant, alors qu’une catastrophe comme celle de Fukushima se chiffre en milliers de milliards d’euros…

Déchets et démantèlement : même minimisée, la note est salée !

Déchets nucléaires : un fardeau calculé de manière incomplète.
La Cour des Comptes, s’en tenant à la très restrictive définition officielle des déchets nucléaires en France, n’a pas calculé le coût de la gestion de certaines matières. Aucun chiffrage de la prise en charge des 260 000 tonnes d’uranium appauvri qui s’entassent sur différents sites, ni des 82 tonnes de plutonium stockées à La Hague : les exploitants considèrent qu’elles peuvent être réutilisées dans un futur hypothétique et qu’il ne s’agit pas de déchets. Pas de calcul non plus pour les 50 millions de tonnes de résidus miniers qui continuent de polluer les anciens sites d’extraction… Mais les chiffres obtenus pour la gestion des autres déchets dénotent des devis à la hausse et de sérieuses querelles en perspective. Ainsi, l’enfouissement des déchets les plus dangereux ne coûterait « que » 14,4 milliards d’euros selon EDF… mais 36 milliards selon l’Andra !

Démantèlement dément.
Les dépenses pour le démantèlement des 58 réacteurs français en fonctionnement – sans inclure la dépollution des sites - sont estimées à 18,4 milliards d’euros, suite à un calcul d’EDF que la Cour des Comptes refuse de cautionner. Elle se livre d’ailleurs à une comparaison instructive, appliquant aux 58 réacteurs français les méthodes de calcul utilisées dans d’autres pays. Les coûts obtenus sont systématiquement supérieurs, voire triplent si on retient la démarche utilisée en Allemagne. Rappelons également qu’en Suisse, 17,5 milliards d’euros sont prévus pour le démantèlement de… 5 réacteurs. Doit-on en déduire que les Français sont très économes… ou qu’EDF bluffe de manière éhontée ?

Qui paiera la fin de vie du nucléaire ?
Même minimisées, ces sommes ne sont toujours pas couvertes par les industriels. Sur les 79 milliards d’euros estimés pour le démantèlement et la gestion des déchets, moins de la moitié est provisionné. Pour trouver les sommes disponibles, EDF n’a pas hésité à recourir à des tours de passe-passe aux limites de la légalité, par exemple en transférant des actifs de RTE dans le fonds destiné au démantèlement. Surtout, les provisions d’EDF sont particulièrement vulnérables aux aléas économiques : leur pérennité est tributaire d’une rentabilité suffisante des placements financiers d’EDF, qui ont déjà beaucoup souffert de la crise économique de 2008. Il devient évident que les contribuables devront voler au secours des industriels pour couvrir ces coûts…

Le nucléaire de demain, un fardeau

Très cher EPR. Alors que le solaire et l’éolien voient leurs coûts de production diminuer au fur et à mesure que la filière se développe, chaque nouveau modèle de réacteur nucléaire coûte plus cher que le précédent. Avec un MWh compris entre 70 et 90 euros, l’EPR explose tous les records.

La prolongation des réacteurs existants entraînera également des coûts impressionnants. Selon EDF, il serait nécessaire d’investir pour cela 50 milliards d’€ sur quinze ans, et 55 milliards si l’on intègre les dépenses prévues pour améliorer la sûreté suite à Fukushima. Cela nécessiterait d’investir 3,7 milliards d’euros par an. Cette évaluation, réalisée alors que les devis des travaux à effectuer ne sont pas encore connus, est considérée comme très optimiste par l’Autorité de Sûreté Nucléaire elle-même. Néanmoins, elle porte le coût de production du MWh nucléaire à 54 euros, soit bien plus que son prix de vente actuel (42 euros).

Les alternatives sont compétitives : telle est la conclusion que la Cour des Comptes aurait pu tirer si elle avait entrepris une comparaison entre énergies. Rappelons que selon différentes études, le prix de production de l’électricité renouvelable serait désormais inférieur, subventions déduites, à celui du nucléaire [1]. On se souviendra par ailleurs qu’en 2006, le rapport « Courant Alternatif pour le Grand Ouest » avait démontré qu’il aurait été possible de répondre deux fois mieux aux besoins en énergie de la grande région normande si on avait consacré les 3,3 milliards d’€ que devait alors coûter l’EPR de Flamanville aux alternatives énergétiques. Que serait-il maintenant possible de réaliser si les 3,7 milliards à investir annuellement pour la prolongation des réacteurs étaient consacrés aux économies d’énergie et aux renouvelables ?

L’heure des choix est venue

Nous n’aurons ici qu’une évaluation partielle des coûts du nucléaire. Les dépenses à venir sont minimisées, et omettent de nombreux aspects (ainsi, quid d’une éventuelle suppression de la sous-traitance, qui ferait grimper les coûts de la main-d’œuvre ?). Ce rapport ne nous dit pas non plus à quel prix – humain, sanitaire et environnemental - les centrales fonctionnent et l’uranium est extrait.
Toutefois, même cette évaluation incomplète brise le mythe du nucléaire pas cher. Au vu des dépenses à venir, il faut s’attendre à une hausse importante du prix de l’électricité, qu’il deviendra grotesque de mettre sur le dos des renouvelables.
Plus de statu quo possible : deux choix se présentent maintenant en matière de politique énergétique. Soit prolonger indéfiniment l’exploitation des réacteurs existants, en engloutissant des milliards dans un insuffisant rafistolage des centrales ; assumer les risques inhérents à leur vieillissement, et choisir d’exposer la population à la menace d’un accident dont les coûts pourraient dépasser ceux de la construction du parc nucléaire. Soit amorcer au plus vite la transition vers d’autres énergies, infiniment moins polluantes, créatrices de centaines de milliers d’emplois, et dont les coûts, eux, ne cessent de baisser. N’attendons plus pour changer de cap !


Notes

[1Solar and Nuclear Costs – The Historic Crossover, Dr. John Blackburn, juillet 2010.

A l’issue de 7 mois de recherche, des impasses, des trouvailles et beaucoup d’incertitudes

Proposée par le WWF en mai 2011, l’idée d’un audit des coûts du nucléaire a enchanté Nicolas Sarkozy, qui y voyait une occasion en or de démontrer, à l’approche de la période électorale, le caractère prétendument bon marché de son énergie préférée. L’étude a débuté en juillet 2011, pour une publication fin janvier 2012. Un délai très restreint pour un thème aussi vaste et aussi épineux, même si cette juridiction indépendante s’était déjà penchée précédemment sur les coûts du démantèlement et de la gestion des déchets.

En si peu de temps, et compte tenu du secret qui entoure les données, de la mauvaise volonté des industriels, ou tout simplement de l’impossibilité de prévoir l’avenir, faire toute la lumière sur le sujet était impossible. Des impasses (regrettables) ont été effectuées, et une grande partie des chiffres obtenus sont à prendre avec des pincettes, la Cour elle-même soulignant les énormes incertitudes sur de nombreuses questions. Toutefois, contredisant les espérances de Nicolas Sarkozy, le travail effectué a aussi permis d’épingler certains coûts colossaux. Citons par exemple celui de la recherche dans le nucléaire, depuis le début du programme atomique, qui s’élève à 55 milliards d’euros ; celui de l’accompagnement des convois de déchets nucléaires, qui est de 4,5 millions d’euros par an (dont 4 restant à la charge des gendarmeries), celui du réacteur Superphénix (12 milliards d’euros en tout). D’autres sont inquiétants par leur faible montant, comme celui de l’assurance. Si un accident survenait maintenant, seuls 90 millions d’euros seraient à la charge de l’exploitant, alors qu’une catastrophe comme celle de Fukushima se chiffre en milliers de milliards d’euros…

Déchets et démantèlement : même minimisée, la note est salée !

Déchets nucléaires : un fardeau calculé de manière incomplète.
La Cour des Comptes, s’en tenant à la très restrictive définition officielle des déchets nucléaires en France, n’a pas calculé le coût de la gestion de certaines matières. Aucun chiffrage de la prise en charge des 260 000 tonnes d’uranium appauvri qui s’entassent sur différents sites, ni des 82 tonnes de plutonium stockées à La Hague : les exploitants considèrent qu’elles peuvent être réutilisées dans un futur hypothétique et qu’il ne s’agit pas de déchets. Pas de calcul non plus pour les 50 millions de tonnes de résidus miniers qui continuent de polluer les anciens sites d’extraction… Mais les chiffres obtenus pour la gestion des autres déchets dénotent des devis à la hausse et de sérieuses querelles en perspective. Ainsi, l’enfouissement des déchets les plus dangereux ne coûterait « que » 14,4 milliards d’euros selon EDF… mais 36 milliards selon l’Andra !

Démantèlement dément.
Les dépenses pour le démantèlement des 58 réacteurs français en fonctionnement – sans inclure la dépollution des sites - sont estimées à 18,4 milliards d’euros, suite à un calcul d’EDF que la Cour des Comptes refuse de cautionner. Elle se livre d’ailleurs à une comparaison instructive, appliquant aux 58 réacteurs français les méthodes de calcul utilisées dans d’autres pays. Les coûts obtenus sont systématiquement supérieurs, voire triplent si on retient la démarche utilisée en Allemagne. Rappelons également qu’en Suisse, 17,5 milliards d’euros sont prévus pour le démantèlement de… 5 réacteurs. Doit-on en déduire que les Français sont très économes… ou qu’EDF bluffe de manière éhontée ?

Qui paiera la fin de vie du nucléaire ?
Même minimisées, ces sommes ne sont toujours pas couvertes par les industriels. Sur les 79 milliards d’euros estimés pour le démantèlement et la gestion des déchets, moins de la moitié est provisionné. Pour trouver les sommes disponibles, EDF n’a pas hésité à recourir à des tours de passe-passe aux limites de la légalité, par exemple en transférant des actifs de RTE dans le fonds destiné au démantèlement. Surtout, les provisions d’EDF sont particulièrement vulnérables aux aléas économiques : leur pérennité est tributaire d’une rentabilité suffisante des placements financiers d’EDF, qui ont déjà beaucoup souffert de la crise économique de 2008. Il devient évident que les contribuables devront voler au secours des industriels pour couvrir ces coûts…

Le nucléaire de demain, un fardeau

Très cher EPR. Alors que le solaire et l’éolien voient leurs coûts de production diminuer au fur et à mesure que la filière se développe, chaque nouveau modèle de réacteur nucléaire coûte plus cher que le précédent. Avec un MWh compris entre 70 et 90 euros, l’EPR explose tous les records.

La prolongation des réacteurs existants entraînera également des coûts impressionnants. Selon EDF, il serait nécessaire d’investir pour cela 50 milliards d’€ sur quinze ans, et 55 milliards si l’on intègre les dépenses prévues pour améliorer la sûreté suite à Fukushima. Cela nécessiterait d’investir 3,7 milliards d’euros par an. Cette évaluation, réalisée alors que les devis des travaux à effectuer ne sont pas encore connus, est considérée comme très optimiste par l’Autorité de Sûreté Nucléaire elle-même. Néanmoins, elle porte le coût de production du MWh nucléaire à 54 euros, soit bien plus que son prix de vente actuel (42 euros).

Les alternatives sont compétitives : telle est la conclusion que la Cour des Comptes aurait pu tirer si elle avait entrepris une comparaison entre énergies. Rappelons que selon différentes études, le prix de production de l’électricité renouvelable serait désormais inférieur, subventions déduites, à celui du nucléaire [1]. On se souviendra par ailleurs qu’en 2006, le rapport « Courant Alternatif pour le Grand Ouest » avait démontré qu’il aurait été possible de répondre deux fois mieux aux besoins en énergie de la grande région normande si on avait consacré les 3,3 milliards d’€ que devait alors coûter l’EPR de Flamanville aux alternatives énergétiques. Que serait-il maintenant possible de réaliser si les 3,7 milliards à investir annuellement pour la prolongation des réacteurs étaient consacrés aux économies d’énergie et aux renouvelables ?

L’heure des choix est venue

Nous n’aurons ici qu’une évaluation partielle des coûts du nucléaire. Les dépenses à venir sont minimisées, et omettent de nombreux aspects (ainsi, quid d’une éventuelle suppression de la sous-traitance, qui ferait grimper les coûts de la main-d’œuvre ?). Ce rapport ne nous dit pas non plus à quel prix – humain, sanitaire et environnemental - les centrales fonctionnent et l’uranium est extrait.
Toutefois, même cette évaluation incomplète brise le mythe du nucléaire pas cher. Au vu des dépenses à venir, il faut s’attendre à une hausse importante du prix de l’électricité, qu’il deviendra grotesque de mettre sur le dos des renouvelables.
Plus de statu quo possible : deux choix se présentent maintenant en matière de politique énergétique. Soit prolonger indéfiniment l’exploitation des réacteurs existants, en engloutissant des milliards dans un insuffisant rafistolage des centrales ; assumer les risques inhérents à leur vieillissement, et choisir d’exposer la population à la menace d’un accident dont les coûts pourraient dépasser ceux de la construction du parc nucléaire. Soit amorcer au plus vite la transition vers d’autres énergies, infiniment moins polluantes, créatrices de centaines de milliers d’emplois, et dont les coûts, eux, ne cessent de baisser. N’attendons plus pour changer de cap !



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