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Energie renouvelable: L’Etat abandonne-t-il à tort la production d’électricité par géothermie?

Choix industriel Dans sa nouvelle stratégie pour l’énergie et le climat, le gouvernement a décidé de ne plus soutenir financièrement une partie de la filière, poussant les acteurs du secteur à réagir

Mireille Fournaise
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Une centrale géothermique en Islande.
Une centrale géothermique en Islande. — Getty Images

Coupure d’alimentation pour la géothermie. D’ici la fin d’année 2019, le gouvernement adoptera définitivement son projet de Programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE). Le texte pose les fondements de l’avenir énergétique de la France et fixe notamment des objectifs en matière d’énergies renouvelables à l’horizon 2028. Si l’Etat a choisi de soutenir de nombreuses filières, la production d’électricité par géothermie dite profonde ou stimulée a été laissée de côté.

La géothermie consiste à utiliser la vapeur de l’eau pour créer de la chaleur et/ou de l’électricité. A Bouillante en Guadeloupe, on produit naturellement de l’électricité grâce aux vapeurs des sources d’eau chaude souterraines. En remontant, ces dernières font tourner une turbine qui va actionner un alternateur, dont le mouvement rotatif va créer de l’électricité. Dans l’Hexagone, on reproduit ce principe en forant le sol, afin d’y propulser de l’eau à plusieurs milliers de mètres de profondeur, là où la roche est très chaude.

Une technologie qui coûte cher...

Sauf que produire de l’électricité de cette façon reste cher. « En 2015, le coût de production a été estimé à 246 euros du mégawattheure (MWh), or l’Etat souhaite que le tarif d’achat ne dépasse pas les 100 euros d’ici 2028 », explique Philippe Laplaige, conseiller expert en géothermie à l’Ademe. « Il y a une volonté du gouvernement de privilégier la production d’électricité renouvelable issue des filières les plus compétitives », complète Marion Lettry déléguée générale adjointe au Syndicat des énergies renouvelables. Le financement des opérations de géothermie est donc gelé pour la production d’électricité, mais non de chaleur, dont la technique de production est plus rentable. Cette décision provisoire est loin de convenir à tout le monde.

« Il s’agit d’une filière en émergence. C’est en multipliant les opérations et le nombre de forages que l’on acquerra de la maitrise, du savoir-faire et que l’on fera baisser les coûts. C’est ainsi que les autres filières d’énergies renouvelables sont devenues aussi compétitives », explique le spécialiste de l’Ademe. « Il y a dix ans, le coût de production d’électricité de l’éolien en mer tournait autour de 150-180€/MWh. Aujourd’hui, celui du parc au large de Dunkerque[Nord] est à 44€/MWh », illustre Marion Lettry.

...mais déjà beaucoup d'argent investi

« Là, on l’empêche de se développer alors qu’on avait déjà investi beaucoup d’argent dans la recherche », se désole Philippe Laplaige. En effet, une expérimentation a eu lieu de 1987 à 2012 à la centrale pilote de Soultz-Sous-Forêts en Alsace. Depuis, ce programme européen a permis de développer une vingtaine de projets avec le soutien de l’Etat. Deux, menés par les sociétés Fonroche et Electricité de Strasbourg, sont déjà en phase d’installation et de test autour de la capitale alsacienne. « La décision de l’Etat casse la dynamique du secteur. Personne ne va plus vouloir investir. »


L’expert enfonce le clou en précisant que « la géothermie profonde est plus compliquée à mettre en place que d’autres, mais peut fournir de l’électricité en permanence et ne nécessite pas de s’étaler contrairement à l’énergie solaire par exemple. Chaque filière a ses inconvénients et ses avantages, il faut faire un mix de l’ensemble. »

 

De son côté, Marion Lettry souligne que la géothermie profonde permettrait d’encourager la production de lithium, utilisé dans les batteries automobiles. « Le lithium est fortement présent dans les eaux géothermales qui circulent en profondeur en Alsace, dans les Pyrénées ou le Massif Central. Selon de premières estimations, avec dix centrales, la production pourrait atteindre, par an, 6 % de la production mondiale de lithium actuelle. » Les acteurs de la filière espèrent que ces arguments remettront la géothermie sous les projecteurs.